Etonnamment productif, Terrence Malick revient deux ans seulement après le bouleversant « The Tree of Life ». Avec un tel prédécesseur – qui figure désormais au panthéon des plus grands films de l’histoire du cinéma – « To the Wonder » était autant attendu que redouté. Bien loin des ambitions de « film somme » qu’affichait son « Arbre de vie », la sixième réalisation de Malick ne manquera pas de décontenancer le spectateur. Après « Badlands », « Les Moissons du Ciel » et « Le Nouveau Monde », c’est une nouvelle fois d’amour dont il est question. Mais cette romance revêt une forme bien particulière. Explosant tous les codes de la narration classique, « To the Wonder » repose essentiellement sur le sentiment amoureux, reléguant ses personnages au second plan. Dépersonnalisés, ces derniers ne sont que des avatars, des êtres quasi-anonymes et mutiques qui vivent l’expérience de l’amour. Voilà le véritable sujet du film : l’acte d’aimer. Qu’il soit exprimé comme un besoin ou un devoir, c’est lui qui anime les acteurs de cette ode à l’amour, lyrique et métaphysique.

Plus démonstratif que jamais – tout en s’avérant paradoxalement plus impénétrable qu’à l’accoutumée –, ce nouveau film de Terrence Malick hyperbolise tous les éléments qui ont fait de son cinéma un art si particulier. À force de répétitions, les déambulations réflexivo-contemplatives d’Olga Kurylenko, finissent ainsi par lasser. Il est vrai que l’actrice, aussi remarquable son jeu soit-il, passe la majeure partie de son temps à sautiller et à gambader. Toutefois, cela n’ôte rien à l’immense talent de mise en scène du maître. Nul autre ne manie la caméra avec autant de grâce que cet homme. Celle-ci se déplace, en apesanteur, filme des corps qui se touchent, qui s’effleurent puis s’évitent, les entoure, s’inscrit dans leur prolongement pour finalement les dépasser dans un mouvement d’une extraordinaire légèreté. Ce que filme Malick, au fil de nombreuses césures elliptiques (qui finissent par suspendre toutes notions de temporalité), c’est le cycle du sentiment et de la relation. Les figures cycliques n’ont d’ailleurs de cesse de se répéter à l’écran : manèges, ventilateurs, marrées, éléments… évoquant indéniablement l’idée d’un éternel retour hautement nietzschéen. Les valises se remplissent, puis se vident, encore et encore, au fil des colères, des doutes et des déceptions d’un couple qui se délite mais qui n’a pas la force requise pour véritablement choisir.

C’est alors que le doute s’immisce, par la figure d’un prêtre (excellent Javier Bardem) lui-même en proie au doute au sujet de sa foi et en quête d’amour véritable. C’est ensuite au tour du passé de ressurgir par la présence de la magnifique Rachel McAdams. Ici, rien ne se termine.

S’il est impossible de confondre le travail de Terrence Malick, « To the Wonder » apparaît tout de même comme un film à part dans sa filmographie. À la limite de l’art expérimental, cette nouvelle réflexion panthéiste tente l’impossible : capter l’insaisissable. Une fois encore, Malick prouve qu’il est le plus grand cinéaste de sa génération en réussissant son pari. Plus radical que jamais, son film est un souffle où l’immensité de l’horizon des attentes – filmée dans un magnifique cinémascope – vient sans cesse se heurter à d’innombrables barrières et clôtures. Une merveilleuse déclaration d’amour à l’amour qui nous offre ce qui restera sans doute les plus belles images de cette année.
Cygurd
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le 14 mars 2013

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Film Exposure

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