Ce film s'inscrit d'abord dans un lieu particulier, à savoir une cité ouvrière aujourd'hui abandonnée, la cité blanche du Teil en Ardèche, non loin du Rhône. Le film a été réalisé dans ce décor pour le moins triste, celui d'une ville fantôme abandonnée par ses habitants du fait de la fermeture de l'usine et du chômage. Dans le film, ceux qui restent là survivent tant bien que mal.

La situation des personnages est pathétique, même si Nassim Amaouche les filme avec tendresse : Francis incarné par Jean-Pierre Bacri, est un veuf qui a perdu son travail mais continue d'entretenir une machine avant qu'elle ne parte, comme le reste. Surtout, il doit gérer sa relation avec ses deux fils issus d'un mariage mixte avec une femme nord-africaine. L'un sort de prison et aimerait s'en sortir, l'autre travaille dans un supermarché avec un costume de souris, car le fromage est en promo... Francis entretient aussi une relation avec Maria dont le fils mutique attend le retour d'un père qui ne reviendra pas.

Adieu Gary est donc un film enraciné dans une cité ouvrière à l'abandon où les jeunes sont coincés sans pour autant avoir une identité forte. Cette identité, ils la cherchent et ne peuvent la trouver dans le travail, et même si cet aspect n'est pas évoqué dans le film, on leur fait en général sentir qu'ils ne sont pas français : bien qu'ils soient nés en France comme c'est le cas pour les deux frères du film, il y a une quête d'identité, un des deux pensant même que la solution est d'aller vivre au Maroc où il n'a pourtant jamais mis les pieds et dont il ne connaît pas la langue, sans qu'il se rende compte une seule seconde qu'il ne serait là-bas qu'un étranger. Ce thème n'est qu'effleuré dans le film, mais il est toutefois important, dans le contexte de la politique de Nicolas Sarkozy et des débats souvent nauséabonds que nous offre la campagne électorale.

Mais revenons à notre film. L'usine n'est plus, les syndicats ont échoué à la maintenir. C'est la fin d'un monde auquel était pourtant très attaché Francis, personnage qui par son amour de la machine et du travail bien fait rappelle d'ailleurs un peu le vieil ouvrier de Ressources humaines de Laurent Cantet. Comme dans ce film paru dix ans plus tôt, avec toutefois des modalités différentes, on nous décrit un conflit de génération : Francis touché par le chômage ne comprend pas que Samir quitte son travail au supermarché, Samir recherchant la liberté plutôt que l'humiliation. Pour les jeunes, il n'y a plus guère d'espoir, et il n'est plus question de syndicat. D'ailleurs, le local syndical semble abandonné depuis quelques temps, et il abrite désormais une salle de prière. Un peu comme si la religion était l'ultime espoir pour certains.

On pourrait ainsi croire que le film véhicule une vision plutôt pessimiste. Mais la vie qui anime les uns et les autres laisse de l'espoir, notamment la jeune fille qui prend les choses en main et quitte la cité pour Paris. Et la fin ouverte du film n'interdit rien.

Pour le reste, on trouvera dans Adieu Gary de nombreuses références aux westerns, que ce soit le décor, les attitudes, les regards, les effets sonores, le bruissement du vent. Sans parler de la superbe musique à l'oud composée par le trio Joubran, groupe de musiciens palestiniens que ce film a eu le mérite de me faire découvrir. Par ailleurs, les acteurs sont très bien dans l'ensemble, avec un Jean-Pierre Bacri fidèle au type de personnage qu'on lui fait habituellement jouer, mais plus en retenue et moins aigri que dans Un air de famille, par exemple ; avec une impeccable Dominique Reymond et un très bon Yasmine Belmadi qui fut malheureusement victime d'un accident mortel avant même la sortie du film.

Bref, Adieu Gary est un beau film dans lequel Nassim Amaouche porte un regard quasi ethnographique sur un monde en voie de disparition. Un film lent par son rythme, montrant, notamment l'attente ou l'ennui, mais un film agréable où l'on s'immerge dans l'ambiance si particulière de cette cité ouvrière en déclin.
socrate
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le 8 avr. 2012

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socrate

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