Giacinto

Quand Rome se réveille ça sent déjà mauvais.

Ça commence dans le pâté. Avec une casquette plombée sur la tronche. Un œil sur la table dégueulasse de la cuisine, qu'est aussi le salon et la chambre à coucher. Chez moi, quoi!
Je l'ai fait de mes mains, mon nid douillet!
Ils étaient où, tous ces parasites quand j'enfonçais les clous, quand j'allais voler des planches au cimetière ? Putain de chaux vive...
Ils devaient ronfler déjà. Et puer aussi.
Giacinto le roi du pageot. Ils veulent me voler mon argent.

La nuit, on fait presque un. Y a rien de mieux au monde que le froid pour rapprocher les gens.

Nous autres on est en bas, mais on pleurniche pas. On vit. Il y en a qui savent se sacrifier, comme moi et ceux qui profitent, comme eux. Ils en veulent à ma cassette, ces fils de con.

Alors la nuit, je ne dors que d'un œil. Ils en veulent à ma peau.

Vu ce que ça coince déjà, je ne vois pas comment ils arrivent à fermer les leurs, d’yeux. Tu vas me dire qu'ils sont fatigués ! Et t'auras tort. Ce ramassis de feignasses non subventionnées qui profitent de mon sens de la famille élargie pour squatter ma jolie maisonnette sur les hauteurs de Rome. Parce qu'il y en a dans le tas, ils ne sont même pas à moi. On peut pas être au four et au moulin. Des fils de putain! Mais pas de moi.
Vous voulez me spolier, me rouler dans la farine. Mais je suis trop malin. Je sais qui vous êtes ! La moitié est frisée. Je suis frisé, moi ? Pas que je sache !
Et puis faut pas faire comme si vous m'entendiez pas, je sais que vous m'entendez.

Je veille même quand ils dorment, ces chiens. Ils en veulent à mon argent, et comme la moitié au moins sont des fils de voleur, je les garde à l’œil. En silence, cyclope muet, ma cassette sur mes bijoux de famille. Bien au chaud.

Puis, ils se réveillent enfin. Ceux qui voudraient une rallonge peuvent compter sur moi. C'est précisément l'heure où je commence à gueuler. Ordures ! Voleurs ! Fils de putain !
Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous commets au soin de nettoyer partout ; et surtout, prenez garde de ne point frotter les meubles trop fort, de peur de les user.

Il est l'heure que les bonnes femmes aillent au turbin. Et les mômes à l'école. À propos, y en a qui disent qu'on met les mioches dans des cages pour pas les avoir dans les pattes toute la journée. C'est pas faux mais c'est pour les élever mon brave. Faut bien qu'ils s'habituent aux barreaux et qu'ils apprennent à s'échapper de derrière les grilles, ça peut servir. Et tu verras que ce modèle fera date. On est des précurseurs, faut pas se fier à nos brics et nos brocs, on domine la ville, ne l'oublie pas!

Dieu que ça pue.
Cette nuit encore, ils ont essayé de me voler. Les pourritures.
Mais je veille, l’œil à l'aguet.
Même aux gogues, ils arrivent à me faire chier.
Alors je sors un peu, m'oxygéner, comme ils disent. S'oxygéner dans une poubelle à ciel ouvert. Et puis comme gueuler ça donne soif, je me pique la ruche au blanc qui pique.
Faut faire vivre le petit commerce.

Dans mon dos, ça complote. Mais je suis borgne, pas aveugle. Et puis je ne suis pas sourd, non plus. Je les entends, leurs manigances. Et si je suis trop loin, les relents de leurs haleines fétides viennent jusqu'à mes narines, transportés par le vent. Les marioles veulent m' assassiner, ça ne fait aucun doute. Ils m'appellent Harpagon. Je ne sais pas trop pourquoi. Y sont cons, j'ai jamais été musicien. Maître-chanteur , une fois, mais c'était y a longtemps. Et puis ce qui me fait du chagrin c'est que même maman qu'est plus vieille que Rome en veut à mon pognon.. mais ils n'auront rien.

Ils veulent me faire manger des pissenlits par la racine alors que dans le coin, y en a pas la queue d'un.

J'ai rencontré une frangine, tout ce qu'il y a de plus gironde, pas farouche pour un sou. Elle s'appelle Sybelle, elle a les dents du bonheur et des doudounes en forme de coussins pour la tête, je l'ai culbutée sur la colline, avec Rome à nos pieds. Je crois que je suis amoureux et si ma femme n'est pas d'accord, suffit de la cogner un peu. Et si elle ne comprend pas, un coup de fusil dans sa gueule, je suis sûr qu'elle le comprendra.
Tu noteras que je ne me plains pas. C'est juste pour dire.

Les macaronis ont un goût bizarre en ce moment, sinon.

Et puis quand je serai plus là, ça continuera pareil.
Y aura toujours des gamins pour se faire traîner par des chèvres, toujours des mômes qu'en voudront au magot de l'ancien.
Et toujours des anciens pour pas se laisser faire. Raclures !