Tiens ! se dit Fabrice Lucchini, depuis toujours je rêve de monter Le Misanthrope… et de me donner le rôle d’Alceste, ce rôle admirable, l’un des plus beaux du répertoire classique français… Mais comme il est un peu trop paresseux - ou simplement lucide - il va adopter une démarche similaire à celle d’Al Pacino dans son Looking for Richard, c’est-à-dire se contenter de faire un film autour de la pièce choisie et d’en montrer de larges passages en prenant soin de se donner le beau rôle (à tous les sens du terme). Malheureusement, ce qui fonctionnait à merveille avec Pacino ne marche pas ici. Tout d’abord, Lucchini, encore plus paresseux que son homologue américain, confie la réalisation à son metteur en scène fétiche, Philippe Le Guay… Celui-ci a pu se montrer à son avantage précédemment et notamment dans le drôle et pertinent Les Femmes du sixième étage, où Lucchini était étonnant de sobriété. Mais comme ici, c’est Lucchini qui dirige, adieu la sobriété et adieu surtout la mise en scène… Le cinéma, c’est avant tout l’image, je n’en démordrai jamais. En dehors de quelques cartes postales de l’île de Ré, d’image il n’y a ici point. C’est d’ailleurs fort dommage car le propos n’était pas inintéressant en soi : l’idée de transposer Le Misanthrope dans le petit monde des acteurs d’aujourd'hui, celle de faire se confronter deux « monstres » tels que Lucchini et Lambert Wilson, celle d’y introduire une rivalité de femmes, celle encore d’y ajouter une Célimène bis qui viendra subrepticement découvrir les vraies valeurs du théâtre… Mais au final, tout est gâché par une imprécision qui tue : ainsi les remarques sur la diérèse : très juste en effet, ôter un pied à un alexandrin, c’est du vol… sauf que c’est précisément ce que fait Lucchini dans les premières « italiennes » qu’il pratique avec son partenaire… les italiennes… Ah, l’admirable terme qui montre que l’on s’y connait vraiment en théâtre ! Sauf que les italiennes sont des filages de texte à toute allure dans lesquelles on cherche juste à se mettre le texte en mémoire et pas des répétitions où l’on a le souci du jeu… des détails certes… mais Dieu gît dans le détail ! Enfin, la conclusion est sans saveur, convenue et au bord du ridicule. 4/10 pour les deux protagonistes qui font étalage avec des dictions admirables de tout leur savoir-faire de comédiens, ainsi que pour la bonne idée de départ. Mais le couple Le Guay–Lucchini nous doit une sacrée revanche.