Alice et le maire, le principe d’indécision

Ça commence comme une comédie romantique, on dirait un téléfilm de milieu d’après-midi sur M6. Une jeune fille, Alice, descend les escaliers de la Croix-Rousse. Il fait beau. Elle glisse jusqu’au bas de la place Louis Pradel et pénètre dans l’hôtel de ville de Lyon. Elle parcourt un couloir, puis un autre, débouche sur un minuscule bureau, le tout sur un ostinato pizzicato au violon et un thème à la flûte. On peut dire qu’on est sur un tempo presto. Ça avance.


Tout le début du film a cette légèreté. Alice découvre un milieu qui lui est fondamentalement étranger : le cabinet du maire. Pas les wc bien sûr, mais les personnes qui le conseillent, l’aident dans ses fonctions de décisions, de représentation et de communication. Alice arrive là comme une biche égarée mais pas effarouchée. Une curiosité gourmande se lit sur son visage. Elle dévore des yeux ce qui l’entoure, elle les écarquille quand il faut rejoindre le maire « là maintenant ? », « oui, maintenant ».


C’est l’incompréhension et le décalage qui produisent du comique. Quand Alice expose au maire le concept de common decency chez Orwell, celui-ci lui répond « ouais c’est un peu vaseux tout ça non ? Et le progrès, qu’est-ce qu’il en dit Orwell ?
- Comment ça ?
- Ba comment ça comment ça ? Ba le progrès ! »


Vu de l’extérieur, le monde politique ressemble un peu à un asile de fous. On y prononce des phrases comme « tu devras faire de la prospective, de la prospective sur le terrain des idées ». Quand on n’arrive pas à se mettre d’accord sur un tweet, on menace, très sérieusement : « TU VEUX VRAIMENT QU’ON AIT UN MAIRE DE DROITE DÈS CETTE APRES-MIDI ??? ». Tout cela est absurde, tout cela est une farce et Alice en a bien conscience. Elle est amusée, elle sourit… mais jamais ne se moque.


Le film poursuit son repérage topographique de la ville de Lyon. Après l’Hôtel de Ville, le parc de la Tête d’Or. On visitera plus tard l’Opéra, dans une très belle séquence de pure mise en scène. Puis viendront la Sucrière et la Cité Internationale, on croirait un clip de marketing territorial. Ça, plus le fait de tout filmer en plans rapprochés : on est bel et bien dans des images de télévision.


Mais revenons à Alice. Au premier tiers du film on commence à se demander si elle va rester. Rester ou partir avec l’imprimeur mignon qui lui tend les bras. Elle oscille entre le monde des lettres d’où elle vient et celui de l’action politique qu’elle découvre. Le premier est représenté par ce fameux imprimeur donc, mais aussi par le meilleur ami d’Alice et par sa femme, une artiste collapsologue qui fait des séjours à l’hôpital psychiatrique. C’est le royaume de l’impuissance. Chacun d’eux porte un regard très lucide sur l’état de la gauche en France, sur la catastrophe climatique, mais ils sont paralysés. À l’inverse, au cabinet du maire, tout le monde s’agite mais personne ne pense.


Alice, circulant entre l’un et l’autre, trouve plusieurs avantages à sa situation. D’abord, elle se maintient en mouvement ; et de cette oscillation elle tire de l’énergie. Si ses amis intellos sont impuissants, si le maire est déprimé, Alice, elle, est pleine de vitalité. Quand, sur un coin d’oreiller, son amant de libraire dit du mal du maire, elle pourrait se ranger de son côté, mais au lieu de ça elle refuse de prendre parti ; elle s’énerve, et donc elle s’anime.


Un autre avantage c’est qu’elle peut traverser ces différents milieux. N’appartenant ni tout à fait à l’un, ni vraiment à l’autre, elle est partout la bienvenue. Alice n’a pas d’ennemi. Son seul ennemi c’est Patrick Brac, un riche soutien du maire. Comment Alice le traite ? De la meilleure des façons possibles : elle l’ignore.


Alice serait donc un caméléon, elle s’adapterait aux personnes et aux situations ? Elle serait docile, sans personnalité propre ? C’est tout le contraire. Alice ne change pas. Pas d’un pouce, pas d’une mèche de cheveux. Son attitude ne change pas. Ses vêtements non plus. Son pantalon slim et sa chemise à imprimé feront l’affaire, qu’elle s’adresse au maire, à son ancienne camarade de promo ou à son meilleur ami.


Alice n’a pas à choisir de camp car elle est son propre camp. Elle n’est pas désengagée ni opportuniste. Au contraire, elle tient une position radicale, forte et difficile : celle du principe d’indécision. C’est à dire ?


Quand tout le monde essaie de diriger sa vie, de se positionner, de consolider ses relations, Alice, elle, fait l’inverse. Elle arrive à la mairie sans savoir pour y quoi faire. Elle n’est pas philosophe, elle n’a pas de métier. Elle retrouve son meilleur ami qu’elle n’a pas vu depuis des années. Elle ne sait pas si elle veut des enfants mais veut pouvoir en avoir. Elle ne sait pas qui elle est ni ce qu’elle va faire, elle laisse la vie en décider.


Pourtant le maire insiste : « Et après ? Vous voudriez faire quoi après ? Vous avez bien, quand même, jsais pas moi... Vous allez pas rédiger des notes toute votre vie ?
- Non mais en même temps j’ai commencé ya trois semaines, c’est j’ai un petit peu le temps d’y penser.
- Oui mais après, qu’est-ce que vous aimeriez faire après ?
- Je sais pas.
- Vous avez bien une idée, quelque chose qui vous intéresse, non ?
- Non. »


Alice est déterminée dans son indétermination. Elle est décidée à ne pas décider. Si bien qu’elle n’est jamais déçue. C’est parce qu’elle suit ce principe d’indécision qu’elle est heureuse et légère. On peut même dire qu’Alice est le seul personnage heureux du film.


A la fin le maire évolue. Il rédige un discours pour le congrès du Parti Socialiste ; texte qui, le propulsant à la tête du parti, le transformerait de fait en candidat à la présidentielle. Il y met toute son énergie. Pourtant, au moment de le prononcer, il attend. Doit-il s’exposer ou doit-il se retirer ? Il ne veut pas choisir alors il attend, et comme Alice, il laisse la vie décider pour lui.

oGh
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le 17 mars 2020

Critique lue 173 fois

oGh

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