Je suis une légende ?

Encore une histoire dont j'avais entendu parler bien avant que quelqu'un se décide à en faire un film.
J'avais lu le livre de Marcus Lutrell (Lone Survivor) mais pas celui de Chris Kyle, seulement quelques interviews dans la presse... Quasiment un an plus tard j'ai été choqué d'apprendre que le type avait été tué !
Après j'étais content d'apprendre que le vieux Clint allait finalement faire le film !

Et le film est bien, d'une sensibilité très "eastwoodienne" !
Pourtant j'ai entendu les pires critiques avant d'aller le voir, du genre : objet patriotique de glorification avec de vilains arabes pas beaux dedans. C'est toujours la même rengaine de toute façon... Certains pensent toujours que le point de vue du héros est aussi nécessairement celui de son auteur... et c'est aussi mal connaître la subtilité de Clint Eastwood.

Car Clint, s'il adopte volontairement et exclusivement le point de vue américain, est subtilement critique à l'égard de la glorification du héros et de ce qui l'a conditionné à devenir ainsi. Chris Kyle apparaît exactement comme dans les interviews que j'avais lu à l'époque : un bon gars de la campagne bien ancré dans ses convictions sur le Bien et le Mal (qui a dit un gentil pécore niais ?) qui essaye de trouver un sens et une justification à son combat (en se retranchant dans la bible naturellement quand d'autres se retranche dans le Coran...) et qui va devenir du jour au lendemain une légende et devoir gérer ce statut et le syndrome post-traumatique.
Car c'est l'antithèse du John Rambo : Chris Kyle est adulé quand d'autres gars traumatisés reste dans l'ombre. C'est cette médiatisation, cette notoriété du héros qui est critiquée, avec ce qu'elle peut engendrée de jalousie ou de manque de reconnaissance chez d'autres, et c'est aussi la raison qui lui coûtera la vie. Une réflexion intéressante à l'heure où d'autres ex Navy Seals font du business sur leurs faits d'armes...
Mais au delà, c'est la fascination pour le record morbide d'un gentil mec et son statut de héros national qui peut faire peur... et sur ce point Clint rejoint exactement le propos qu'il avait tenu dans Unforgiven : William Munny est un tueur incroyable, même de femmes et d'enfants, qui acquière une stature légendaire sous le drapeau américain à la fin.

Le film comme je l'ai dit est présenté exclusivement sous la lunette de Chris Kyle, c'est pourquoi le film peut paraître peu nuancé sur les Irakiens. Pourtant la scène du gamin et de la perceuse nous font bien ressentir les conséquences tragiques de l’utilisation de la contrainte et de la violence sur une population en tant de guerre, et là je parle bien des soldats américains.

Carrément sous-estimé, voir mal interprété, le film de Clint nous dresse pourtant un portrait intéressant et tout en finesse sur la guerre moderne et ses conséquences !