De nos jours, quand on parle de "comics" (bandes dessinées américaines), deux noms viennent immédiatement à l'esprit : "Marvel" et "DC". On pense donc direct aux super-héros, impression renforcée du fait que, comme tout le monde le sait, ces derniers occupent massivement les salles de cinéma depuis maintenant plus de 15 ans et font les bonnes heures du Box Office et des producteurs hollywoodiens.
Oui sauf que... Au même titre que le cinéma américain dans son ensemble, la littérature ne se compose pas uniquement de grosses production destinées à faire déplacer les foules en masse, mais aussi de plus petites bandes dessinées plus modeste (en apparence) et surtout très indépendantes, dont fait partie "American Splendor", série de "comics" autobiographiques racontant rien moins que la vie banale de Harvey Pekar, un américain moyen, légèrement névrosé, assez timide et peu sûr de lui, se contentant (pour reprendre ses propres mots) d'exercer un "boulot minable" (documentaliste dans la bibliothèque d'un hôpital de Cleveland) pour vivre. En somme, un homme plutôt effacé dont la soudaine popularité (ses B.D connaîtront un certain succès public) ne changera, en définitive, pas grand chose, Harvey continuant d'exercer son travail de peur que son succès, en tant qu'"écrivain amateur", ne s'arrête pour de bon.


Rédigé de cette manière, "American Splendor" peut passer pour un biopic (film de fiction retraçant la vie d'une personne célèbre -chanteur, acteur ou même président des Etats-Unis-) classique avec, en première partie, description de l'enfance du héros, suivi de son ascension et de sa chute.
Or, et c'est ce qui fait toute la gaieté de ce film quelque peu irrationnel (dans le bon sens du terme), il n'en est rien dans la mesure où "American Splendor", du fait qu'il entremêle trois genres bien distincts : le documentaire (avec plusieurs apparition du véritable Harvey Pekar), le film d'animation (les cases de la B.D qui s'animent sur l'écran) et le biopic (description de la vie d'Harvey, interprété par le comédien Paul Giamatti). De cette manière, le film prend alors la forme d'un véritable "trip" cinématographique, le tout renforcé par un montage assez protéiforme avec, entre autres, "voix-off", split-screen et adresse direct du personnage aux spectateurs du film .
Là où l'on pourrait croire qu'il ne s'agit que d'effets de style histoire de se démarquer du tout-venant hollywoodien actuel, la mise en scène d'"American Splendor" se veut proche du style des B.D de Peckar; à savoir caustique vis-à-vis de la société américaine et ses habituels poncifs (les "winners" d'un côté, les "losers" de l'autre), décalé et grinçant quant à son propre (anti)-héros (Peckar lui-même) et surtout très inventif visuellement, allant même jusqu'à reprendre des outils élaborés par le dessinateur lui-même avec personnage dessiné en arrière-plan dans les "comics" (et placé en profondeur de champs dans le film).


De même, le choix de Paul Giamatti pour le rôle de Peckar n'en est que plus évident tant il lui correspond assez bien. Avec ses yeux de cocker, son air mélancolique, son débit très rapide, son aspect bedonnant et sa petite taille, le génial comédien (dont la carrière oscille depuis toujours entre seconds rôles dans des Blockbusters pour la plupart relativement oubliables, films indépendants de luxe et séries télé notables - "Billions"-) donne littéralement vie à Peckar en lui insufflant une humanité troublante, en en faisant rien moins qu'un "Monsieur tout le monde" qui, au départ au bout du rouleau (moralement et sentimentalement) va se voir confronter à une célébrité soudaine. Et c'est ce qui fait aussi tout le charme du film; à savoir le fait que l'on peut facilement s'identifier à lui, l'américain moyen qui n'a finalement jamais rien demandé et qui se voit soudainement assortit d'un destin finalement peu ordinaire, créateur de "comics" à succès.


Outre sa mise en scène "inhabituelle" et son montage inventif déjà évoqué, "American Splendor", en terme d'inspiration narrative, lorgne du côté de Woody Allen, notamment en ce qui concerne l'évocation des rapports hommes/femmes et des questionnements existentiels d'Harvey Peckar. On y trouve la même causticité dans les dialogues de couple, les mêmes interrogations relatives à la question du mariage en enfin, les mêmes troubles (la névrose, le stress, la manque d'assurance).
Outre le maître new-yorkais, on pense aussi à Todd Solondz, le réalisateur des subversifs et controversés "Happiness" et "Storytelling", dans la manière dont sont dépeints certains personnages; en particulier Joyce, la femme paresseuse d'Harvey, et Toby, son meilleur ami "nerd" (ou "geek" comme on dit aujourd'hui); représentés comme de purs tocards, rêvant d'un ailleurs symbolisé par le mouvement "hippie" pour Joyce et par le film "Revenge of the Nerds" pour Ted, que Harvey tente pourtant de ramener à la raison.
Naviguant allègrement entre ces deux tons (l'existentialisme de Woody Allen et le pessimisme noir et caustique de Todd Solondz), "American Splendor" parvient à trouver son équilibre et, mieux encore, à ne pas plagier ses deux modèles d'inspiration.


Considéré aujourd'hui comme un "classique" du cinéma indépendant américain contemporain, "American Splendor" est incontestablement un très bon film, servi par une réalisation de haut vol, une écriture scénaristique soignée, des personnages très attachants interprétés par de très bons comédiens, proposant un regard doux-amer et désenchanté (tout en restant un minimum optimiste) sur l'Amérique et ses concitoyens, qui (bien qu'une grande partie de la vie d'Harvey Peckar se soit déroulé dans les années 70 et 80) est toujours d'actualité aujourd'hui.


Un petit bijou à découvrir !

Créée

le 9 sept. 2018

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