Lenteur et tremblements...
Antigang, dope, braquage, grand banditisme, famille, omerta...Dis comme ça sèchement ça pourrait ressembler à un best-of voyoucrate , résultats calamiteux d'une grande battle sensationnaliste entre Popa Scorsese et Lil' Gray.
Si le sujet est bien celui-là : une plongée au cœur de la famille Cody, soit quatre frangins et leur mère, tous voués corps et âmes au crime organisé, rejoints par Joshua, jeune ado orphelin de la seule fille de la fratrie, morte d'une OD. Un matériau on ne peut plus casse gueule, dont David Michod s'arrange plutôt bien, évitant le plagiat et les pièges les plus grossiers avec une certaine maestria.
Déjà, il trouve une bonne distance de regard : les yeux de cet ado atone, débarqué dans ce merdier infâme qui n'est rien moins que sa seule famille. Ainsi sa caméra circule librement autour des protagonistes qui évoluent dans leur quotidien, loin des fastes de la vie de gangster que souvent le film de genre dépeint. Ici tout est minable.
Ensuite, il laisse une place à la lenteur assortie à une sensation d'engourdissement qui lui permet de faire de chaque instant "crucial" - ces tartes à la crème du film de braquo - une bombes à retardement. La violence est là - on a bel et bien affaire à de véritables méchants - mais elle n'explose jamais comme on l'attend.
Construisant les plans sans horizon, à l'instar de la vie de ces effroyables personnages (la palme allant à la mère de famille, matrone ahurissante de bassesse, géniale Jacki Weaver, toute de psychopathie rentrée...terrifiante !!) qui s'y débattent, s'enferrent dans leurs erreurs et leur tares, Michod obéit aux pulsations d'un cinéma que j'adore : ni clip esthétisant la violence (malgré de ci de là quelques tics genre ralenti et emphase musicale) ni pseudo docu fiction revendiquant la réalité à coup de caméra embarquée et de montage épileptique . Plutôt, un simple équilibre entre réalisme et stylisation, qui s'il le rapproche du The Yard de James Gray (le sujet, un héros tout en introspection en porte à faux avec sa famille) lui permet surtout de s'en détacher. Par sa mise en scène, Animal Kingdom marque sa différence. Elle observe, enregistre d'hallucinantes émotions mais elle ne porte aucun jugement. Une sorte de vison d'épure de ce qui ressort comme une fatalité. Dans ce déroulé de violence sans issu, tous les personnages ont ainsi droit à leur pleine existence de fiction (même si le film est tiré d'une histoire vraie) - jusqu'à "Pope", l'oncle héroïnomane, violent, psychiatriquement bien atteint, qui échappe malgré tout à la caricature qui lui pendait au nez.
C'est en laissant filer le temps, jouant de la lenteur comme outil d'immersion, que David Michod donne corps à ses protagonistes et nous offre cette liberté de mouvement et de réflexion que le cinéma, quand il traite de ces sujets, ne nous donne pas forcément. Bien vu quoi !