Anon
5.5
Anon

Film DTV (direct-to-video) de Andrew Niccol (2018)

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Il y a du très bon et du très dommage dans Anon. Le très bon prend finalement le dessus une fois une nuit passée à digérer ce film.
Comme beaucoup de films de SF Netflix de cette dernière année, il s'agit de ce qu'on peut appeler un "épisode de Black Mirror", pour ceux qui connaissent cette série (surtout ces deux excellentes premières saisons). En effet, Anon ressemble à une bonne petite nouvelle de science-fiction, sur une technologie plausible dans un futur proche, et surtout ses dérives.


La première qualité du film et d'avoir réussi à nous faire comprendre le concept de "logiciel cognitif" sans passer par la sempiternelle scène d'explication dialoguée. L'exposition du concept est visuelle, et on est directement dans un cas particulier: l'utilisation par la police de ces logiciels qui enregistrent la vie des gens selon leur points de vue et communiquent entre les personnes. Cas particulier aussitôt développé: il y a du piratage et une histoire de meurtre.


Visuellement, le logiciel prend beaucoup de place, et il serait intéressant de lire tous les encarts qui apparaissent autour des gens qui passent dans le champ de vision de Sal, le héros. Rien que ces textes qui apparaissent et disparaissent sans nous laisser le temps donnent le sentiment d'une grande richesse d'écriture et agrandissent à eux seuls un univers pourtant assez vide visuellement. Au passage, on comprend par ce trop-plein d'informations pourquoi les gens de ce futur sont froids, aussi vide que leur décor, les yeux dans le vague en permanence. Cet aspect perturbant ou ennuyeux des comportements apparaît vite parfaitement cohérent avec cette technologie omniprésente.
Le petit budget est optimisé. Un petit nombre de personnages et de décors, une quasi absence d'actions forment un univers assez conséquent, ce qui est une marque pour moi de bonne écriture de science-fiction.


Autre qualité, la sobriété. Pour se concentrer sur son concept, Andrew Niccol, familier de ce genre de SF "propre", avec des réussites (Bienvenue à Gattaca) et des échecs (Time Out), nous plonge dans un polar simple avec tous ses poncifs. De cette manière, le trop plein d'information est bien contrebalancé par le côté familier du flic buveur divorcé, de la femme énigmatique un peu fatale.
C'est évidemment là que les problèmes arrivent. Car ces clichés prennent trop de place et font finir la chose en déjà vu un peu agaçant et prévisible.


Mais voilà, ce côté très bateau du polar, y compris dans son casting (Clive Owen en flic déprimé, Amanda Seyfried et ses grands yeux en femme mystérieuse), sert tout-de-même à nous immerger dans une grande originalité qui est celle de la mise en scène de point de vues subjectifs, envoyés d'une personnalité à l'autre puis modifiés par on ne sait qui. (J'ai beaucoup pensé à Strange Days de Kathryn Bigelow, un de mes films de chevet, pionnier de la vue subjective et de la réalité virtuelle.) Les thèmes de la perception du réel, de la folie, de la confiance en ses propres sens, sont touchés du doigt et notre imagination malmenée par ses implications.
L'aspect familier du polar aurait pu servir à nous emmener loin dans les perceptions et la falsification du réel, mais c'est bien le polar qui finit par avoir la priorité dans cette histoire. La mise en scène est sobre, un peu à la manière du David Fincher épuré de ces dernières années. Mais Andrew Niccol (également scénariste), s'y laisse prendre et reste finalement en surface d'un concept qui laisse pourtant entrevoir une infinité d'innovations cinématographiques.
Très dommage donc pour un concept à longue portée philosophique. Mais en survolant un thème aussi riche, notre imagination est très sollicitée. Il y a quelque chose de gênant mais de redoutablement efficace dans ce balancement entre la frustration d'en vouloir plus et la satisfaction d'être stimulé. Personnellement, le choix sera de dire merci à un film qui active la boîte à penser.


Malgré ses défauts, Anon apporte clairement sa contribution innovante à la réflexion sur le thème de la réalité augmentée, qui est loin d'avoir développé toutes ses ramifications.
Un bon verre à moitié plein est un bon verre.

Pequignon
7
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le 5 mai 2018

Critique lue 3.7K fois

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Pequignon

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