Si j'ai vu Apocalypse now, c'est avant tout parce que j'avais besoin d'une vision de la guerre la plus plausible qui soit. C'est donc sur le film de Coppola que mon choix se porte, en raison tout d'abord de l'extraordinaire aura qui émane de l'affiche et du titre, balancé sur soleil couchant comme une giclée de sang. Et de l'hypnotique thème "The End" qui engourdit ma conscience comme de l'opium pur. Alors je regarde, hébété.

Au bout de dix minutes d'introduction baignées d'alcool et de dégoût, je frissonne.
Au bout de vingt minutes de massacre de civils, je pleure.

Et puis plus rien.

Les deux heures trente qui suivent ne sont rien d'autre qu'un crescendo malsain dans le dégoût, la haine et la médiocrité, alors que l'équipe maudite remonte le fleuve comme Orphée descend les Enfers mais, chose étonnante et presque effrayante, je n'ai plus tremblé une fois du film, je n'ai plus ressenti le moindre malaise face à ces cadavres suspendus, ces têtes arrachées et ces corps décharnés.

J'étais devenu totalement indifférent.

Le rapport à l'image et au temps change du tout au tout dans Apocalypse Now. L'horreur y est si omniprésente qu'elle en devient banale, et, pire que tout, sombrement fascinante, hypnotique, désirable même. Alors quand Clean est mort, la voix de sa mère résonnant dans le lecteur audio "nous espérons que tu rentreras bientôt à la maison, nous t'aimons très fort", non, je n'ai pas ressenti la moindre once de pitié. Pas plus que je n'ai regretté la mort de tout ces "niacs", ou les souffrances de tous ces gens.

Ce n'est qu'à la condition que l'on accepte enfin pleinement l'horreur, qu'on l'embrasse et qu'on y fasse corps avec le "héros" que le film frappe au cœur et broie enfin ce qu'il avait chassé tout du long : la conscience, engourdie de ralentis, submergée de lumières, de boue et de sang, aveuglée à force d'horreur, s'éteint. Et alors on assiste indifférent à cette longue succession de déchéances, enivré. Coppola, dans Apocalypse now, fait plus que nous montrer l'horreur : il la fait vivre à tel point qu'il ne nous reste qu'à nous protéger comme le fait le bleu devant un massacre : en murant toutes les émotions.

Mais si je suis resté de marbre face à l'hyperviolence, quand la symbolique quasi-christique de la mort et de paganisme m'est enfin apparue lors de la scène finale -dans ce qui restera à jamais l'un des plus beaux plans de l'histoire du cinéma- alors, pire que tout, alors j'ai été irrésistiblement fasciné. L'homme est mort, l'esprit humain est mort, la culture est morte, l'horreur a un visage et, pourtant, après trois heures quinze d'une des expériences les plus traumatisantes que j'aie jamais vécu, ce visage m'a presque semblé amical.

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le 13 déc. 2013

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Tezuka

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