Cette connerie qu'on appelle... le cinéma

Il m’aura fallu quelques jours pour digérer ce film culte de la fin des années 70. Je me faisais une joie de découvrir Apocalypse Now, mais il ne m’a pas convaincu. Il est difficile à apprécier, un peu trop sale, un peu trop brut, un peu trop simple. Aussi, je suis désormais habitué à ce drôle d’effet que l’on ressent lorsqu’on visionne un chef-d’œuvre et que l’on se retrouve malgré soi à baigner dans les miasmes de la minorité, parmi ceux qui n’ont pas aimé et qui veulent malgré tout s’en justifier. Nous sommes si vite considérés comme des incultes, des idiots, des cinéphiles de bas étage, nous devons nous heurter à un mur de « Mais tu n’as rien compris au film », « Tu ne comprends rien au cinéma », « Le problème dans ta critique c’est que… », et ne me dites pas le contraire, car c’est exactement le genre de commentaires que j’ai pu lire en réponse à des critiques rédigés par ceux qui ont eu l’audace, que dis-je, l’affront, d'avouer qu’ils n’avaient pas aimé. Ô drame! Apocalypse Now ne plait pas à tout le monde. Ineptie!...


Alors je tiens avant toute chose à rectifier un point qui est important pour moi, une fois n’est pas coutume : ce n’est pas parce que vous avez aimé une œuvre qu’il faut avoir la prétention de croire qu’elle plaira à tout le monde. Les gouts et les couleurs, comme on dit…


En ce qui me concerne, je n’ai pas accroché, mais je ne dirais pas pour autant que je me suis fait chier. Si je n’avais pas autant de respect pour le cinéma, j’aurais même commencé par dire que le film est mauvais, voire tout à fait abject, en le réduisant à une seule et unique séquence. J'aurais pu me le permettre, vu que cette séquence elle-même semble cracher sur le cinéma tout entier, en glorifiant des méthodes honteuses qui jettent le discrédit sur tout le secteur (mais j'y reviendrais plus tard, oui, oui, vous avez commencé à comprendre, je suis ce genre de gars relou qui va vous parler de ce fameux boeuf...).


Je ne suis pas très inspiré par la violence en tant que telle, lorsqu'elle est exposée dans les films, aussi justifiée soit-elle. J’ai du mal à saisir l’intention du film, qui de mon point de vue, est seulement puante d’arrogance et de voyeurisme facile. Bon, je ne vais pas vous tendre le bâton pour me faire battre, et vous révéler que j'ai tout de même compris que ce n'était pas un film sur la guerre du Vietnam, mais un film sur la folie des hommes, dépassé par l'horreur. Une histoire, finalement, qui semble imager une mauvaise conscience américaine, avec un certain panache, je l'admets. Pour autant, est-ce que cela est suffisant, franchement pas pour moi.


La guerre est déjà bien difficile à raconter, ne serait-ce que dans les faits et la réalité. Mais ici, il s’agit d’une fiction prenant place dans un contexte de violence historique, avec une description visuelle aussi sombre et horrifiante qu’on se l’imagine. L’histoire, un peu tirée par les cheveux, voudrait nous faire croire qu'un capitaine américain reçoit la mission officieuse de ses supérieurs de se rendre au-delà du Cambodge pour exécuter un colonel qui a pété les plombs et qui a sombré dans la cruauté. Tout cela au milieu d'une guerre dans laquelle règne déja la barbarie, dans un camp comme dans l'autre. Bref, on va faire comme si on y croyait. Tout cela se traduit donc par une traversée d’un long fleuve (pas si tranquille que cela) en pleine jungle, jonchée de cadavres, rythmée par des batailles explosives, puis par un dénouement sans grande surprise (si ce n’est le contexte visuel lié à la tribu indigène, qui nous fera presque basculé dans le fantastique).
En gros, pour vulgariser, le film commence par nous expliquer qu’un mec de l’armée doit buter un autre mec de l’armée, et le film se finit avec un mec de l’armée qui bute un autre mec de l’armée. Franchement, on ne peut pas dire que l'histoire se perd en cours de route en tout cas. C'est quasiment mathématique. J’ose espérer que le film n’a pas gagné son titre de chef d'oeuvre grâce à son scénario. Mais ne vous m'éprenez pas, je ne dis pas que l’histoire est mauvaise, mais c’est un peu léger tout de même pour un film de 140 minutes (j’imagine la souffrance de ceux qui ont visionné la version longue, les pauvres…).


Cette violence exacerbée, indigeste, aurait pu être tout simplement un témoignage crédible des horreurs de la guerre si l’œuvre ne se perdait pas dans des facilités puis des excentricités bancales. Des facilités avec la description des personnages, qui se révèlent soit fous, soit immatures. On ne saura s’attacher tout à fait aux soldats, tant et si bien que leurs morts ne surprennent jamais par leur dramaturgie, un comble tout de même. Et une excentricité, dans le scénario nottament. Le fait que le colonel Kurtz soit à la tête d’une tribu indigène est sacrément stéréotypé. L’américain, dans tout son élitisme, mettant à sa botte un peuple d’aborigène qui lui voue un culte tel un Dieu. Franchement, c’est tellement stupide que ça en devient pathétique.


Je n’ai pas aimé l’histoire de ce film, je n’ai pas aimé le rythme trop lent, trop ennuyeux, mais j’ai apprécié son contexte et son identité visuelle. Les scènes de chaos sont incroyablement immersives de par leur horreur et leur dimension spectaculaire. Je crois d’ailleurs que c’est le seul point que j’ai vraiment apprécié.


Les acteurs ne m’ont pas convaincu. Je ne suis pas spécialement sensible au jeu de Martin Sheen. D’ailleurs, dans ce film il semble toujours se demander s’il récite la bonne réplique et s’il se trouve dans la bonne scène. Quant à Marlon Brando, il a beau être une légende du cinéma, en ce qui me concerne je n’accroche pas. Il ne m’a jamais vraiment convaincu, ni dans Le Parrain, ni dans Sur les Quais, ni même ici.


Ma critique risque d'être encore plus longue, car j'en viens à un point qui me touche particulièrement, et je dois le dire, qui a failli me faire vomir. Nous sortons du cadre artistique, et nous entrons dans la production, en tant que telle, pour regretter une absence d'humanité: ce bœuf, tuer de manière barbare afin d’obtenir une « belle » séquence ! On en parle une minute ?


Quelqu’un peut-il m’expliquer en quoi tuer véritablement un être vivant lors d’un tournage apporte quelques crédits que ce soit à l’œuvre ? Quel est le but ? Celui de la recherche du réalisme ? À cette époque les effets spéciaux auraient très bien joué leur rôle... Celui de créer une intention, une émotion, une métaphore peu subtiles sur la violence et la folie de la guerre ? Franchement, ce n’est pas sérieux. Aucune œuvre ne justifie de tels agissements.


Il y a quelques différences à garder en tête. Oui, parfois les animaux souffrent, parfois ils meurent, sur les plateaux de tournage. Cela arrive à cause de négligence, souvent pour des raisons budgétaires, des contraintes techniques, ou je ne sais quoi encore… Mais ce que je veux dire, c’est que même si dans tous les cas l’issue est insupportable, les circonstances peuvent trouver une certaine justification (légitime ou non). Mais comment peut-on tolérer qu’un animal soit volontairement massacré sous les caméras dans le but d’obtenir une séquence réaliste ? Alors je vous vois venir, vous, les partisans du « oui, mais tu manges de la viande non?… ». OK, il y a des milliards d'animaux tués dans les abattoirs afin de nourrir la planète, c’est un fait, mais ces animaux ne sont pas tuer pour le plaisir, d’une certaine manière on les tue par besoin essentiel. Doit-on par conséquent estimer que leurs vies ne valent rien et qu’on peut y mettre fin pour une raison aussi futile et superficielle qu’un long métrage, produit, je le rappelle, dans le but de divertir les gens? Est-ce que la mort gratuite et barbare d’un bœuf me divertit ? NON. Est-ce qu'elle devrait vous divertir? NON. Est-ce que nous devrions le regretter? Mais bien sur que oui, c'est ce qui nous rend bienveillant.


Lorsque j’ai vu cette scène, c’est mon corps tout entier qui a réagi avec dégout. J’ai réalisé avant de le comprendre que ce que je voyais était une réalité et non pas du spectacle. Cette pauvre bête, taillée en morceaux devant nos yeux, les yeux exorbités de souffrance, est un crime. Il n'y a pas d'autre mot. J’espère qu’un jour les individus qui sont responsables de cette séquence seront punis.


Enfin, je finirais par soulever une simple question, lourde d’évidence. Si l'on part du principe que le meurtre de ce boeuf n'est finalement pas bien important, pourquoi les acteurs qui jouent dans ce film ne sont-ils pas tués pour de bon, eux aussi ? Vous allez me dire que cela relève du bon-sens, bien sûr. Mais tout comme le boeuf, cela n'offrirait-il pas un résultat plus réaliste pour le public, vous ne croyez pas? Ce n'est pas ce que vous voulez, vous qui n'êtes pas horrifiés par de telles méthodes ? Et si ça avait été un chien à la place? Est-ce que ça vous aurait fait le même effet les gars? J'essaie bien sûr de comprendre ce qui a amené le réalisateur à penser que la cruauté sur cet animal était une bonne idée pour son film. Sa vie vaut-elle moins que celles des hommes ? Certains diront oui, et pourquoi pas, je veux bien l’entendre. Mais qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains si ce n’est le fait que nous respectons la vie ? La vie quelle qu'elle soit.


En conclusion, ce film est l’exemple parlant des limites que franchit parfois le cinéma dans l’absurdité. Franchement, ça me dégoute.


Si d’un point de vue global, il ne m’avait déjà pas franchement convaincu, je dois reconnaitre qu’il se laisse visionner avec curiosité, et qu’il mérite même les honneurs qu’on lui fait, en considérant sa dimension spectaculaire et son esthétique fascinante. Pourtant, je n’ai pas trouvé l’histoire très aboutie, et même sans le sort funeste et obscène du bœuf, je n’aurais pas mis une note au-dessus de cinq étoiles. La cruauté envers les animaux m’est insupportable, mais je vais dissocier ces méthodes de l’œuvre et faire preuve d’intelligence artistique. Ici, je juge le spectacle, et s'il m'est arrivé par le passé d'attribuer la note minimale pour un docu animalier qui exposait de manière brutale la cruauté de la production envers les animaux (un non-sens absolu), le cas présent est quelque peu différent, même si la finalité du bon sens reste la même. Cette critique est l'occasion pour moi de dénoncer ça, j’espère que je ne serais pas le dernier à le faire. Il ne faut plus que le public ne soit confronté à des images qu’il n’a de toute manière plus envie de voir.

Casse-Bonbon

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