Grâce au succès surprise de son précédent film 9 mois ferme (plus de 2 millions d'entrées), le réalisateur, comédien, scénariste et humoriste Albert Dupontel s'est retrouvé avec un budget bien plus conséquent en passant de 7 120 000€ à 19 750 000€, pour mener à bien l'adaptation du roman de Pierre Lemaitre : Au revoir là-haut, récompensé par le prix Goncourt 2013. Le défi était de taille, mais il va faire en sorte de ne pas dénaturer l'oeuvre originale, tout en réussissant à y mettre son grain de folie.


Albert Dupontel est un être à part dans le cinéma français, il ne fait pas des films comme les autres et tient à garder sa liberté artistique. Son parcours est atypique, d'humoriste produit par Patrick Sébastien, il devient un réalisateur culte avec son premier film Bernie. Sa folie est contagieuse, on sent l'influence de Tex Avery et des Monty Python, mais plus généralement du septième art. L'homme est un perfectionniste, au point de sombrer dans l'excès en se sabordant avec Le Créateur. Comme tout les grands hommes, il apprend de ses erreurs et va continuer son chemin en restant, avant tout, fidèle à lui-même. Ses films suivants ne retrouveront jamais la folie et la désinvolture de Bernie, mais ils sont à l'image d'un auteur en pleine évolution. Il avance en travaillant sur ses prochaines œuvres, tout en laissant son talent s'exprimer devant la caméra d'autres réalisateurs Jacques Audiard : Un héros très discret, Michel Deville : La maladie de Sachs, Gaspard Noé : Irréversible, Nicolas Boukhrief : Le convoyeur, entre autres. Avec Au revoir là-haut, il trouve une oeuvre à la hauteur de son génie et de son ambition. C'est le film de la maturité, celui qui va lui ouvrir d'autres horizons et nous permettre de profiter de son talent pendant encore quelques décennies, voir pour l'éternité.


L'abondance de biens ne va pas nuire à la créativité d'Albert Dupontel. La scène d'ouverture dans les tranchées durant la guerre de 14-18, va pourtant se montrer inquiétante. Il donne le sentiment de vouloir en faire des tonnes, de bien nous faire sentir qu'on lui a mis de l'argent plein les poches et que de ce fait, il allait nous en mettre plein la vue, au risque de nous enterrer avec le cheval. Le visuel est séduisant, même s'il est un brin trop parfait. Sa caméra domine les tranchées, puis la gare, avant de plonger sur le quai par le biais d'un trou dans la toiture. Il invite le spectateur à constater par lui-même l'état de désolation de notre pays après la première guerre mondiale. D'un trou dans le toit, on passe par une porte ou une fenêtre. On entre dans des lieux inaccessibles au peuple, dans lesquels se repaît une élite cupide et avide, dominant le monde en exploitant les petites gens, à l'image des chinois enterrant les corps dans nos cimetières.
Le lieutenant Pradelle (Laurent Lafitte) en est un de ses visages. Un sociopathe sacrifiant ses hommes sur le champ de bataille, pour satisfaire son goût pour le pouvoir. Albert Maillard (Albert Dupontel) va être le témoin de ses exactions, mais un mensonge va permettre au lieutenant de poursuivre son ascension sociale, alors que le soldat va s'occuper de celui qui lui a sauvé la vie, au péril de la sienne, et va s'en trouver défiguré, Edouard Péricourt (Nahuel Perez Biscayart).


Après son explosive introduction, le film s'apaise. Avec la complicité de Louise (Héloïse Balster), Edouard retrouve goût à la vie et au dessin. Il reprend doucement son envol en confectionnant des masques exprimant ses émotions. Pendant ce temps, Albert enchaîne les petits boulots et ramène sa dose de morphine à son ami devenu accroc. Le ton pourrait être tragique, mais il sera plutôt comique, à l'image du vol de morphine aux mutilés de guerre. Le personnage est drôle et touchant. Albert Dupontel est fabuleux, il ressemble à un enfant découvrant le monde avec ses yeux émerveillés par sa beauté et sa noirceur. Il se pare d'une tenue évoquant Buster Keaton, lors de son invitation à dîner dans la demeure des Péricourt. Comme Edouard, il est presque muet face à l'immensité des lieux et de sa richesse. Les deux hommes s'expriment plus à travers leurs regards, que leurs mots. Cette hommage au cinéma muet est réussi. On sent l'envie de transmettre aux spectateurs, son amour pour le septième art à travers diverses références : le cinéma muet et burlesque de Buster Keaton, les tranchées des Sentiers de la Gloire de Stanley Kubrick, la musique de Christophe Julien évoquant celle d'Ennio Morricone et forcément à Sergio Leone avec ses gros plans sur les regards d'Albert Dupontel et de cette belle ordure de Laurent Lafitte, lors de leurs duels. On a aussi une touche cartooonesque, mais plus légère, confirmant que l'esprit de l'artiste est apaisé, à l'image de son cinéma devenu plus mature.


Dans le roman de Pierre Lemaitre, Albert Dupontel a trouvé un univers convenant à sa sensibilité artistique. Les deux hommes ont travaillé ensemble à l'écriture du film, en modifiant l'intrigue pour la rendre plus cinématographique. On est séduit par sa mise en scène, son travail sur les décors, sa lumière, sa photographie et ses personnages. Albert Dupontel se taille la part du lion, mais ne laisse pas dans l'ombre l'expressif regard bleu ciel de Nahuel Perez Biscayart, ni la grandiloquence de Michel Vuillermoz, ou encore la stupidité de Philippe Uchan. Niels Arestrup est toujours impeccable, dans le rôle d'un père tyrannique devenant plus humain au crépuscule de sa vie. Cela permet aussi d'aborder le thème de la relation père/fils, de la difficulté à communiquer et à transmettre un héritage bienveillant. L'évolution de notre pays est aussi évoqué, à travers les rapports des classes où les riches continuent de s'enrichir en exploitant un peuple n'osant pas se rebeller. Au lieu de nous faire la leçon, il montre que le bien se sert aussi du mal pour arriver à ses fins. L'arnaque est honteuse, comme le fait de détrousser des handicapés. Le fils ne vaut pas mieux que le père, mais rien n'est gravé dans le marbre, on peut changer soit à cause d'un événement ou par une prise de conscience. Il ne juge pas et nous montre le monde avec ses contradictions, à travers un immense spectacle sous le plus grand chapiteau du monde d'une salle de cinéma.


C'est un film drôle, tendre, poétique et émouvant dans lequel Albert Dupontel a su insufflé sa folie, sa tendresse, son humour et son amour pour les diverses formes d'art et plus particulièrement le cinéma. Il a réussi à ne pas se perdre dans cette grosse production, en étant avec talent, à la fois devant et derrière la caméra. Chapeau bas, l'artiste!

easy2fly
8
Écrit par

Créée

le 2 nov. 2017

Critique lue 582 fois

4 j'aime

Laurent Doe

Écrit par

Critique lue 582 fois

4

D'autres avis sur Au revoir là-haut

Au revoir là-haut
Subversion
4

Adieu

À vrai dire, je n'avais même pas envie d'écrire sur ce film, qui ne m'intéresse pas outre-mesure. Mais voyant une déferlante de critiques élogieuses, j'ai quand même eu envie d'apporter un...

le 28 oct. 2017

108 j'aime

21

Au revoir là-haut
Sergent_Pepper
6

Les rentiers de la gloire

Il a toujours été délicat de catégoriser de manière précise le cinéma d’Albert Dupontel. Si la comédie domine, le grotesque y côtoie souvent les grincements de la satire, et le baroque formaliste s’y...

le 3 nov. 2017

96 j'aime

14

Au revoir là-haut
Quentin_Pilette
5

Les méchants sont pas gentils parce qu'ils sont très méchants

Les spectateurs français attendaient un film de ce genre depuis tellement longtemps qu’ils n’osent pas bouder leur plaisir : enfin un film ambitieux où les 17 millions d’euros de budget se voient à...

le 31 oct. 2017

79 j'aime

22

Du même critique

It Follows
easy2fly
4

Dans l'ombre de John

Ce film me laissait de marbre, puis les récompenses se sont mises à lui tomber dessus, les critiques étaient élogieuses et le genre épouvante, a fini par me convaincre de le placer au sommet des...

le 4 févr. 2015

63 j'aime

7

Baby Driver
easy2fly
5

La playlist estivale d'Edgar Wright à consommer avec modération

Depuis la décevante conclusion de la trilogie Cornetto avec Dernier Pub avant la fin du monde, le réalisateur Edgar Wright a fait connaissance avec la machine à broyer hollywoodienne, en quittant...

le 20 juil. 2017

56 j'aime

10

Babysitting
easy2fly
8

Triple F : Fun, Frais & Fou.

Enfin! Oui, enfin une comédie française drôle et mieux, il n'y a ni Kev Adams, ni Franck Dubosc, ni Max Boublil, ni Dany Boon et autres pseudos comiques qui tuent le cinéma français, car oui il y a...

le 16 avr. 2014

52 j'aime

8