Le film donne des images qui hésitent autour de trois personnages. Pendant toute la première partie, on se demande : "c'est dans la tête de qui?". Tout est fait pour désigner la mère. Est-ce la peur de la mère qui s'incarne dans chaque situation? Qui est "en double" ? A qui est l'histoire qui se joue sous nos yeux ? La peur de la mère, ou bien pendant un moment, le garçon maléfique qui fait voir à sa mère tout ce dont elle a peur, et on se dit alors que "ça vient du garçon". La question est bien : de qui, d'où ça vient ? Lorsque Anna rencontre Helge et que Helge se met à voir le soi-disant garçon ami de Anders, le problème se propage aux nouveaux arrivants, et on se dit de la même manière que ça peut très bien être dans la tête de Helge.
Mais le film fait bien sûr aussi autre chose : il fait vivre la matière de cette confusion : qu'est-ce qui est réel ? réel par rapport à qui ? Quand Anna fait écouter les enregistrements des cris qu'elle entend, Helge est-il un témoin ou représentant authentique du réel, peut-il faire foi pour le réel ? Le film perpétue cette impossibilité de savoir ce qui est réel, si ce n'est de manière éparse par les comptes rendus policiers après le meurtre, ou les informations télévisées. Mais même elles ne résolvent rien, elles meublent juste de "détails authentiques" qui ne suffisent en rien à déterminer une vérité d'ensemble. Le film arrive à rester tout du long dans une hésitation autour de "savoir qui est fou", en valorisant cette hésitation et le mouvement des images associé, plutôt qu'une solution définitive. La "matière qui ne peut pas décider pour qui est le réel du plan actuel" voyage ainsi et passe d'un personnage à un autre, elle crée une histoire provisoire pour chaque personnage, un plan passant à un autre plan / personnage / réel. L'histoire fait vivre un complexe de trois personnages, tout en livrant au passage, une interprétation standard du type "finalement c'est dans la tête de Helge il a tout imaginé". Mais cette dernière est presque là pour rien, ou pour montrer que ce n'est pas d'une solution de ce type que provient la force guidant les images. Si on revient en arrière, le passage le plus fou pour illustrer l'hésitation moteur du film, est celui où Anna arrive à l'hôpital après s'être imaginée plongée dans l'eau pour récupérer le garçon qu'elle avait vu se faire noyer. Elle arrive à l'hôpital mouillée, ses vêtements sont trempés, donc (?) elle est allé dans l'eau, et l'infirmière lui dit "on vous a trouvé en pleine confusion en plein milieu d'un parking". Le "parking" étant justement ce qu'elle avait trouvé à la place du lac (où on la voit plonger pour sauver le garçon), le même lac que celui où elle avait voulu "emmener Anders au lac". Ni les images ni les personnages présents dans l'image ne peuvent permettre la moindre accroche qui puisse nous dire une fois pour toute et pour tout le monde : "il s'est passé ça". Chaque image est suspecte, mais une action s'y déroule bel et bien, une action qui raconte en même temps "sa propre histoire". Comme si l'image se libérait des personnages pour ne raconter que ce qu'elle porte, sans être assimilée à l'histoire d'un personnage en particulier, et sans que toutes les histoire se recoupent dans un réel unique et consensuel (celui où toutes les histoires tomberaient d'accord). Des réels se déroulent sous nos yeux et il est vain de vouloir les agréger en un regard. Retour sur la fin du film : Quand Helge parle à Anna, on est tenté de se dire que cette femme allongé sur le lit est une inconnue et qu'Helge transfère/imagine sa propre histoire pour conjurer la mort de sa mère. Mais de tout ce qu'il peut imaginer, de toutes les images qu'il peut créer, toutes renvoient à la scène antérieure du lac dont lui a parlé Anna et avec qui elle va avec son fils. C'est aussi le lac que Anna avait imaginé emmené Anders, son autre fils dont on apprend qu'il est décédé depuis deux ans. Ce pourrait donc très bien pour "faire plaisir" à Anna qu'il lui raconte cette histoire, réalisant ainsi ce qu'Anna n'avait pas pu offrir à son fils.
Il y a également une "évocation" marquante du film à l'intérieur du film lui-même. L'image de fin (Helge qui parle à Anna sur un lit d'hôpital) épure totalement le film, et permet comme une renaissance, un "rappel" du film. Le film fait sens et ce sens est "rappelé" à la fin. Comme si on avait vu une vie / complexe réel-imaginaire de trois personnages et que l'image de fin nous montrait une de ses naissances, évocation épurée qui remonte à la surface, réminiscence "d'image originelle". "Ma mère avait beaucoup d'imagination" disait Helge à Anna dans le bar. Cette scène est emblématique du jeu de l'imagination : ni dans la tête, ni dans les personnages, l'imagination affecte l'image entière, elle donne une matière nouvelle / réalité particulière à l'image qui amène chacun des personnages à vivre à chaque instant un réel si particulier, si instable, si indécis. Ces montages / enchaînements d'images permettent de toucher du doigt la dimension qui met en échec le soi-disant "contrôle" d'une situation. Poussé à l'extrême, les images vivent sans réconcilier le réel du spectateur : on ne peut pas être spectateur pour tout le monde sans rater quelque chose de la vie, la vie objective n'existe pas. L' "imagination" ainsi incrustée à même l'image, chaque personnage peut alors ne pas "se rappeler" ce qui est réel, ou s'en écarter quand il faut, le retenir pour un autre. Comme le ferait une image. On est dans un jeu d'images qui s'intercalent pour constituer un réel unique à chacun, et où les tentatives de rattraper une histoire unique pour tous font sauter l'image. A cet égard le film est très impressionnant : intégré dans chaque image qui a le pouvoir de s'adresser à un personnage ou à un autre. On garde tout du long cette indécision qui crée un sens potentiel infini pour chaque personnage, et ainsi aucune explication qui dépasserait ces réalités/perceptions fragmentées ne peut être donnée.

zerthol
7
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le 23 avr. 2018

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zerthol

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