Critique initialement publiée ici le 17/06/2020


Le second long-métrage du duo Jonathan Milott et Cary Murnion après « Cooties », était initialement prévu pour être dévoilé durant le festival de Tribeca en avril dernier. Il arriva finalement jusqu’à son public en VOD le 5 juin 2020 pour cause de pandémie de Covid-19. Qu’en est-il ?


Sans surprises, nous sommes dans un film de « home-invasion » assez classique. Le principe de ce sous-genre de l’horreur est de voir pénétrer une menace extérieure dans la sphère privée qui est censée être synonyme de sécurité et de protection.


Définition qui s’inscrit d’autant mieux dans un pays (les USA donc) qui défend farouchement le droit à la propriété privée. (Sur ce chapitre il est assez ludique de regarder les détails de la loi « Stand your ground »).


En reprenant un schéma classique, le film ne s’épargne pas les poncifs du genre : L’adolescente endeuillée qui a du mal à passer le cap ? Check ! Le père totalement déconnectée de sa fille et qui cherche à refaire sa vie ? Check ! Les tensions avec la potentielle belle-famille et bien sur la confrontation à la menace extérieure qui va favoriser une possibilité de recomposer le noyau, voire même une catharsis pour les être endeuillés ? Check !


De mauvaises langues pourraient s’abaisser à comparer le scénario à un carton de bingo dont les auteurs se sont soigneusement appliqués à cocher les cases inhérentes au cliché du genre. Mais comme ils s’agit de mauvaises langues, nous nous contenterons de les approuver en silence.


Cependant le film offre une légère différence d’avec ses ainés. En effet son propos ne repose finalement pas tant sur la recomposition de la cellule familiale que sur la catharsis de l’être endeuillé. Même si Joel McHale s’est adonné au port de la barbe bien montrer que son personnage est pas très loin de la dépression, son statut d’endeuillé semble s’être arrangé très rapidement puisqu’en l’espace d’un an il a eu le temps de rencontrer l’amour, le fils de son amour et engager des fiançailles. C’est donc à Becky d’endosser ici le rôle de l’être endeuillé dont le film suit le parcours.


Cette dernière nous est montré dès le début du film comme une victime, avec un énorme paquet de colère qu’elle a du mal à canaliser suite à la perte de sa mère. Elle passera d’ailleurs une bonne partie du métrage à crier, baver, et on s’attend à tous les instants à ce qu’elle se mette à mordre.


En parallèle, via un montage alterné, nous est présenté Dominick dans sa cour de prison en train d’organiser le meurtre d’un autre détenu (Noir, bien entendu. Le public étant étourdi, il faut lui rappeler que la particularité d’une fraternité Aryenne, c’est d’être composés de racistes). En résumé, le film nous montre déjà maladroitement ce qu’il va tenter de renverser, à savoir l’habituelle relation proie/chasseur.


Bien entendu, après un événement déclencheur, Becky va plonger la tête la première dans la colère qui l’habite pour s’opposer à ses agresseurs et ainsi s’enfoncer dans une spirale de bestialité dont elle ne sortira pas indemne. Elle fera même preuve d’une violence supérieure à celle de ses opposants. Idée intéressante si le traitement de la violence n’avait pas été raté dès le début.


Penchons-nous dessus. Le film prend un parti pris intéressant (qu’il rate évidemment, sinon ce ne serait pas drôle). Nous montrer une victime capable de faire preuve d’autant, voire plus, de brutalité et de violence que ses agresseurs, on avait déjà pu voir un tel procédé dans « La dernière maison sur la gauche » de Wes Craven. Le but était d’y interroger le public sur son rapport à la violence et sa légitimité en fonction de qui l’exerce. La violence ne devient-elle pas plus acceptable quand elle est exercée par les protagonistes du bon côté de la barrière moral (donc les « gentils », pour résumer) ? Alors qu’en soi l’exercice de la violence reste condamnable, d’où notre rejet des « méchants ». Michael Haneke jouera sur la même corde durant la fameuse scène de la télécommande dans son « Funny Games ».


Malheureusement pour le bienfondé de cette expérimentation, la violence dont use Becky n’impacte pas, où très peu parce que celle-ci a été initiée par les Aryens, et que sa représentation à l’écran par ceux-ci est largement minimisée, malgré un double meurtre d’enfant dès le début du métrage, mais qui sera hors écran. La sauvagerie dont fera preuve Becky (dont un œil arraché), nous sortira purement et simplement du film parce qu’elle ne rejoint pas le ton établi précédemment, et amoindrit l’impact du camp adverse, rendant déjà Becky hors-normes et surtout hors d’atteinte du danger que peuvent représenter les assaillants.


D’ailleurs, au fur et à mesure que le film avance, il semble vouloir mettre en place une iconisation de Becky en tant que figure de l’horreur et ainsi placer cette dernière aux côté de nos boogeymen préférés. Assisterait-on à la naissance d’une boogeywoman ? Pourquoi pas. Malheureusement une mauvaise gestion du récit, et une interprétation approximative de Lulu Wilson, empêchent l’idée de se concrétiser sous les yeux du spectateur.


Les pièges tendus par la protagoniste, son age, et donc la violence cartoonesque dont elle se sert ne feront jamais que finalement faire de ce film une sorte de croisement assez grotesque entre « Maman, j’ai raté l’avion » et « Rambo 2 ». Sans compter que les séquences d’action sont très mal cadrées, puisque ne parvenant jamais à se focaliser sur un point et semble privilégier le chaos, au risque de nous faire perdre l’envie de suivre le combat de l’héroïne pour sa survie.


Le montage n’ira pas mieux à ce niveau là, tant les coupes sur les plans décisifs semblent se faire attendre, alors que dans un même temps on pourra retrouver, sans forcément comprendre pourquoi, des plans sur la nature, l’environnement, comme si il était de bon ton de se réfugier derrière le « Deliverance » de John Boorman. Les plus audacieux pourraient y voir du Malick. Grand bien leur en face.


Regret supplémentaire que l’on pourra exprimer : l’ensemble du casting délivre des partitions très passables. Si le spectateur peut en avoir l’habitude avec Joel McHale, qui bien que sympathique, n’a jamais fourni d’efforts surhumains pour interpréter Jeff Winger dans la sitcom « Community », il est fort possible d’être désarçonné par la performance de la jeune Lulu Wilson qui nous avait pourtant agréablement surprise dans des films dont on n’attendait rien (et à juste titre) tel « Ouija : les origines » ou encore « Annabelle 2 ». Seul Kevin James, remplaçant Simon Pegg au pied levé, semble faire table rase de ses prestations précédentes essentiellement tournées vers l’humour, pour interpréter un antagoniste glaçant.


Et si finalement, c’était pour tout ça qu’il fallait voir le film ?



  • Parce que malgré sa volonté d’enrichir le sous-genre du home-invasion, il finit par s’empêtrer dedans ?
    • Parce que les réalisateurs, tellement occupés à nous rappeler qu’ils sont des artistes avec leur univers, finissent par nous convaincre que nous n’avons aucunement envie d’en faire partie ?

    • Parce que Kevin James est le seul pauvre bougre à se donner du mal pour une bonne prestation, et qu’il mérite notre compassion ?

    • Parce que ce film a le mérite d’avoir eu des ambitions, même si il ne parviendra jamais à les atteindre ?


Difficile de prendre au sérieux ce mélange raté entre la saga « Home Alone » et « Rambo 2 », autant regarder les sources originales.

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le 17 juin 2020

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