Spike Lee a donc fait sensation à Cannes au printemps dernier. Non pas parce qu’il avait raflé des dizaines de prix, - Il y a tout même récolté le Grand Prix du Jury -, mais parce qu’il y a bien longtemps que plus aucun de ses films n’y avait été sélectionné. Avec BlacKkKlansman, il a réveillé l’intérêt qu’il avait suscité jadis avec les films comme Do the right Thing, probablement son meilleur à ce jour, ou encore Nola Darling n’en fait qu’à sa tête.


Le Clansman, cet homme qui a infiltré le Ku Klux Klan, c’est Ron Stallworth, un policier noir à la retraite, dont le livre est à la base du scénario. Spike Lee va raconter avec beaucoup d’humour cette incroyable histoire, une aventure qu’on traiterait de rocambolesque si elle n’était pas liée à des faits aussi repoussants que le racisme. Pour bien placer son sujet, et éviter au spectateur de s’égarer face aux blagues égrenées par les protagonistes, Lee débute son film par une scène, par ailleurs anthologique et brillante du point de vue cinématographique, d'Autant en emporte le Vent, où des centaines de soldats, des confédérés pour la plupart, agonisent sur le sol, juste avant qu’un énorme drapeau sudiste n’envahisse l ‘écran. Le cinéaste est politique, il lutte pour les droits civiques et n’en fait pas mystère, et cette entame et ce drapeau qui met en exergue la fierté sudiste dans le film de Victor Flemming tracent la trajectoire de son métrage. Plus loin dans le film, il utilisera pour les mêmes objectifs un autre film, autrement plus controversé, The Birth of a Nation de Griffith, aussi bien une référence toujours vivace pour les suprémacistes de l’Organisation qui l’adorent, qu’une plaie toujours béante pour les jeunes étudiants noirs activistes qui le regardent avec effarement, le tout présenté dans un montage alterné qui n’est sans doute pas innocent dès qu’on évoque Griffith.


Puis le film se poursuit avec le cœur du récit. Une histoire énorme avec comme protagonistes un Noir, le Ron Stallworth en question, (Joseph David Washington, à défaut de son père vieillissant qui a fait les beaux jours de la filmographie de Spike Lee), intègre la police, et un Juif, Flip Zimmerman (Adam Driver, une fois de plus irréprochable), déjà policier pour sa part, et qui oublie plus souvent qu’à son tour d’être Juif. Ces deux personnages, qui travaillent aux Renseignements, vont ne faire qu’un pour infiltrer le Ku Klux Klan, encore assez visible dans ces années 70 au point de faire de la retape dans les journaux. La situation est explosive, Ron passe des coups de fil à « ses » amis du Klan depuis le poste de Police même, il leur donne son vrai nom ; son copain Flip prend sa place lors des rencontres physiques avec les membres du clan. Les risques sont importants : les voix ne sont pas pareilles, les dictions et les idiomes idem (le General American connoté blanc, le Jive talkin connoté noir, une matière à débat de plus dans un film qui n’en est pas dépourvu). Le subterfuge peut être découvert à tout moment, d’autant plus que chez les suprémacistes, la confiance ne règne pas vraiment envers cette nouvelle recrue tombée de nulle part et soupçonnée d’être un Juif. Du coup, une vraie tension digne des meilleurs policiers infuse le film jusqu’à son dénouement, la peur constante que les deux larrons soient démasqués.


C’est donc ainsi que BlacKkKlansman est construit : une histoire qui tient plutôt bien la route, drôle, tendue, bien ficelée ; et des sous-textes nombreux, martelant sans répit le sujet, bouclant la guerre de sécession sur des évènements tragiques plus récents. De plus, les personnages eux-mêmes font le lien entre ces deux aspects du film, avec leurs problèmes d’appartenance et d’identité. Et c’est cette double lecture qui n’est en fait que les deux faces de la même réalité qui rend le métrage intéressant. Et pour les chafouins qui trouvent que Spike Lee a chaussé les semelles de plomb, la tournure actuelle de la situation des Noirs aux Etats-Unis ne peut que donner raison au cinéaste dans sa démarche.


On peut en tout cas reconnaître à Spike Lee le don de rendre BlacKkKlansman plaisant, alors que les thématiques abordées sont plombantes. Même si le film ne regorge pas d’idées de cinéma spectaculaires, il en contient suffisamment, comme avec ces gros plans de têtes qui semblent flotter dans l’air, de jeunes étudiants noirs hypnotisés par un discours radical d’un ex membre des Black Panthers ou au contraire par un doux vieux pédagogue qui a emprunté les traits d’Harry Belafonte. Adam Driver et Joseph David Washington sont excellents, cabotins juste ce qu'il faut, et ont su élever le film au-delà de la simple comédie.

Bea_Dls
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le 25 août 2018

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Bea Dls

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