Le film s’ouvre alors sur une scène aux allures tarantinesques : les personnages sont dans une voiture, plan serré et ils échangent des dialogues aussi bien ficelés que totalement absurdes. Le décor est planté. Le film abordera l’Amérique, celle des quartiers en pleine mutation, celle des luttes raciales, des injustices et des enjeux sociaux colossaux.


Ensuite, une des premières scènes du film, et pas des moindres, est celle du meurtre d’un homme noir par un policier. Collin en est le témoin et cette scène, qu’il regarde à travers le rétro de son camion, va profondément le hanter pendant le film. Une véritable prise de conscience s’opère chez lui et, par extension, chez le spectateur qui lui aussi s’est retrouvé témoin de cette scène effroyable. Effroyable, mais totalement réaliste puisqu’il suffit de regarder les actualités américaines pour se rendre compte que ces cas ne sont plus totalement isolés.


L’intelligence du long-métrage est de mettre en scène ce personnage principal noir aux côtés d’un personnage blanc et de procéder à une mise en lumière des différents privilèges de ce dernier – violent et impulsif contrairement aux stéréotypes et à la stigmatisation dont est victime le premier. Par ailleurs, le racisme est vécu à tous les niveaux de la société : dans une fête organisée par des blancs où la diversité est quasi-inexistante, dans le milieu judiciaire, et bien sûr dans la vie quotidienne où les personnes noires sont abattues en pleine rue par des policiers blancs qui ne sont jamais, judiciairement, remis en question.


En plein mouvement Me Too, les questionnements autour des hommes, des masculinités et des virilités sont plus que jamais d’actualité. À travers de multiples débats, des ouvrages et des films, on questionne l’éducation des jeunes garçons, les attentes de la société envers les hommes et les stéréotypes, variables selon les différences raciales, dans lesquels on les enferme. L’excellent documentaire The Mask you live in, disponible sur Netflix, apporte une excellente réflexion et un tour d’horizon concernant l’éducation des jeunes hommes dans la société (ici américaine). Bien que ce ne soit pas le sujet principal du film, Blindspotting aborde à travers l’image du « dur à cuire », du gangster, ce questionnement permanent soufflé par le « sois un homme » et tout ce que cela implique.


C’est notamment à travers le personnage du petit garçon de Miles, cet homme violent et impulsif qui se cache derrière une carapace aux dents en or, que le sujet est exploité de manière juste et réaliste. Le petit garçon aime se battre, comme son père, et le regard de Collin qui ne cesse d’évoluer et de se déconstruire durant tout le film va littéralement apporter l’aspect critique et pointer du doigt cette forme d’éducation qui demande à être changée.


Blindspotting arrive au bon moment. Alors que le projet est dans les tuyaux depuis plus de dix ans, il est impossible de ne pas penser que son attente est une aubaine pour son succès. Le long-métrage est une véritable immersion, une critique à la fois drôle et touchante mais également terrifiante et réaliste sur l’état politique et social d’une Amérique en chute libre. La mise en scène est remarquable, notamment la scène où Collin se retrouve face au policier meurtrier, ou encore celle où il rentre chez lui, une arme dans la poche, dans le noir complet avec seulement la lumière d’un gyrophare éblouissant pour dessiner sa silhouette. Blindspotting, récompensé à Deauville, est une véritable pépite et restera un des films indépendants les plus marquants et importants de l’année 2018.


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le 4 oct. 2018

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