Bloody Sunday ne partait pas pour me plaire. Ces fondus rébarbatifs me rendaient fous et plus le temps passait, moins l'approche choisie par Paul Greengrass me plaisait.

Pendant trois quarts d'heure, c'était le même manège. Les militaires qui répétaient comme des magnétophones que cette fois, ils étaient prêts à mettre une bonne branlée aux hooligans. Ivan Cooper qui répétait sans cesse, dans la précipitation et à tout le monde, qu'il ne voulait surtout pas d'émeute. Ce climat préliminaire tendu comparable à un fond de roulements de tambours s'éternisait mais n'évoluait pas. Parallèlement, quasiment rien sur les bases de cette crise frappant l'Irlande du Nord, sur ses conséquences, ni même la moindre précision sur ces fameux droits civils tant revendiqués par les catholiques. Clairement, un spectateur peu éclairé sur le sujet ne pouvait comprendre qu'à moitié le moteur de cette effervescence.
Si l'approche choisie par Greengrass peut justifier ce manque d'éléments "documentaires", elle n'en est pas moins décevante à mon gout pour cette même raison. Mais...

Comme on s'y attend, tout finit par basculer. La manifestation débute. On assiste à la première division du cortège, les premiers débordements, l'arrivée de la confusion, l'impuissance des organisateurs. Cette cohue bien présente mais qui ne concerne qu'une minorité agitée de manifestants tandis que les autres défilent calmement. Puis les premières balles qui résonnent. Et à ce moment précis, mon esprit qui commence à sortir de sa torpeur. Un certain réalisme qui vient me frapper en plein foie. Cette cohue qui se transforme en chaos, un chaos qui me happe. De fortes émotions qui commencent à émerger tandis que l'horreur s'accentue devant mes yeux. Un terrible quiproquo. Des donneurs d'ordre qui ne contrôlent plus les ficelles de leurs pantins. L'impuissance des civils face à tant de férocité. Je me retrouve bouillonnant de rage. Mes yeux s'embuent à plusieurs reprises. Un tourbillon de violence incompréhensible. Comment un tel drame est-il possible ?

Et puis vient le bilan, les visages décomposés qui se succèdent, les familles abattues mais surtout ce silence terrible de honte et d'incompréhension. Un bouleversement d'autant plus fort que le film développe beaucoup cette sensation de communauté et d'unité entre les différents individus. On est réellement sonné, on voudrait comprendre mais rien n'y fait. Rien ni personne ne semble pouvoir expliquer cette sauvagerie, pas même ceux qu'elle animait quelques instants plus tôt.

Je ne m'y attendais pas. Ce film m'a rendu furieux autant qu'il m'a retourné. Pour ce qui est de son parti pris, je le trouve irréprochable sur le fond, mais un peu maladroit sur la forme à cause de son côté manichéen (cf par exemple : la réaction abusive du militaire quand il découvre le corps mourant sur la banquette arrière, ou encore le comportement incroyablement abject du commanditaire de l'opération).

Il est difficile de noter un film qui suscite de telles émotions, tant l'intensité de ces dernières semble combler ses lacunes. C'est pourquoi j'ai laissé passer une nuit avant d'écrire ma critique. Bloody Sunday est décevant sur la retranscription historique à proprement parler de l'évènement, ainsi que sur sa mise en scène en général. Mais il est parvenu à m'asséner un énorme coup de poing, à m'emporter dans son chaos et finalement à susciter de vraies réflexions devant cette injustice. C'est déjà beaucoup.
Endless_
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le 22 mars 2014

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