Billy Wilder est connu pour sa maîtrise de la comédie, mais si l'on doit réserver des
éloges pour un seul des films du réalisateur de La Garçonnière et Certains l'aiment
chaud c'est pour Boulevard du crépuscule qu'ils iront.

Wilder nous montre ici une facette du cinéma américain peu reluisante. Le film est un
flash-back de deux heures commenté par un cadavre, celui de Joe Gillis piégé dans le
monde dérangé de Norma Desmond et victime de sa folie. Cette dernière crée ce
monde avec des oeillères dorées, elle n'entend que ce qu'elle veut entendre et ne sait
que ce qu'elle veut savoir. Les gens qui gravitent autour d'elle sont ses marionnettes.
Inconsciente des réalités, leur préférant l'illusion, elle vit entre amour et haine, et place
le film entre romantisme et sordide.

Son regard écarquillé, et ses grands gestes, évoluent dans un huit-clos à l'atmosphère
gothique, qui relève plus du film d'horreur expressionniste que du film noir. Cette
ambiance renforce d'autant plus l'herméticité de cette maison fantôme de laquelle les
rêves de Norma semblent avoir pris possession. Elle se retrouve alors prisonnière de sa
nébuleuse démence, ne vivant que pour sa gloire fanée, oubliant alors qu'elle est la
muse déchue d'une époque muette.

Wilder réalise un hommage acerbe à Hollywood, en voulant pour son film un côté
« réaliste » qu'il appuie par une grande mise en abîme. Il doit cela à Gloria Swanson
qui accepte ici un rôle difficile et has been, similaire à sa propre situation, une
similitude qu'elle partage avec toutes les actrices du cinéma muet dont la carrière s'est
arrêtée aux débuts du cinéma parlant. On retrouve également cette mise en abîme dans
le parallèle fait avec Queen Kelly d'Erich Von Stroheim, qui met en scène Gloria
Swanson à l'avènement de sa carrière. Le réalisateur joue en quelque sorte son propre
rôle en interprétant Max Von Mayerling, majordome et metteur en scène de Norma.
En outre les rêves de gloire de Madame Desmond ne sont autres que des scènes de ce
film avorté par l'avènement du cinéma parlant...

Ces rapprochements entre les personnages du film et leurs propres acteurs sont
l'essence même de cette représentation de Hollywood. Wilder complète ce tableau
désuet en incluant Buster Keaton et Cecil B. DeMille à son film.

Ce qui nous apparait d'abord comme un polar ne peut être enfermé, en définitive, dans
un aucun genre particulier. C'est un film audacieux, insolent et surtout fascinant, dont
certaines scènes et répliques resteront à tout jamais cultes. Le film nous laisse à demi
achevés et encore troublés sur cette scène aussi belle que malsaine de la descente des
marches de Norma vers la police et les journalistes. Ses yeux traduisent la folie mais
aussi par dessus tout l'amour et le bonheur qu'elle éprouve à jouer, à être filmée.

Elle ponctue le film au sommet de sa gloire et de sa déchéance sur ces quelques mots
« All right Mr. De Mille, I'm ready for my close-up... » , véritable hommage au septième art.
z0uan
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le 11 juil. 2011

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z0uan

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