Michael Moore ou l'art de mentir pour faire passer ses idées...

Comme dans la plupart de ses films, Michael Moore use ici d'un montage particulièrement dynamique, utilisant un nombre très important d'images : familiales, d'actualités, d'archives, de propagande ou encore de divertissement. La voix de Moore lui-même est aussi présente dans pratiquement tous les plans, qu'elle commente. Moore se met littéralement en scène dans son film, il a son but précis et il est prêt à tout pour l'atteindre, même à mentir.

Dès le prologue du film, Moore met en place ses idées, par l'utilisation d'images d'archives, il nous présente son projet, avec humour et mensonges : le militaire nous annonce que le film est produit par la NRA, l'association américaine qui milite pour le droit des citoyens à posséder des armes à feux, l'association contre laquelle le réalisateur se bat. Puis Moore nous décrit la matinée du 20 avril 1999 comme une matinée typique aux Etats-Unis, alors que c'est à cette date qu'a eu lieu le massacre au lycée de Columbine. Après ce prologue, Moore se lance dans son premier entretien, dans une banque, il s'est créé une sorte de personnage, un « ours », qui sera dans quasiment tous les plans. Il rend ainsi la caméra moins visible, une sorte d'immersion dans le réel, le spectateur le suit pendant ses différents entretiens, Moore devenant une sorte d'investigateur, d'enquêteur. Michael Moore est à la fois le réalisateur de ce film, mais aussi le scénariste et le producteur, dans ce premier entretien, il porte une casquette sur laquelle on peu lire « writer », ce qui montre au spectateur qu'il dirige de toute part son film. Après cette scène arrive le générique, utilisant de nouveau des images d'archives, tournées dans un bowling, ce qui fait écho au titre du film.

Les images d'archives permettent à Moore d'être perçu plus favorablement par le public, elles permettent de rendre le réel visible, même si la voix-off ou les commentaires inscrits sont parfois faux. Il utilise aussi des images personnelles, le montrant lorsqu'il était enfant, il instaure ici une forme d'autoportrait, comme si il cherchait à montrer qu'il est comme tout le monde. Moore pose et repose la même question pendant tout le film, « Pourquoi le nombre d'homicides par arme à feu est-il proportionnellement plus élevé aux États-Unis que dans les autres pays ? », cette affirmation est par ailleurs fausse, le nombre le plus élevé étant au Brésil. Pour Moore, tous les moyens sont bons pour transmettre ce qu'il souhaite. L'une des scènes marquantes du film, est la caricature de l'histoire des Etats-Unis sous la forme de dessin animé, nommé « a brief history of the United States », Moore réécrit une partie de l'histoire pour son film, il ne montre que les points négatifs, l'utilisation d'un cartoon est une forme de contradiction, les personnages sont tout sourire, alors que le sujet est grave. Le dessin animé nous est d'ailleurs présenté par une balle animée.

En plus de jouer avec les images, Moore joue beaucoup avec le son et la musique, en s'assurant de choisir des chansons connues de ses spectateurs, et en créant des contrastes visibles et facile à retenir, ce procédé n'est pas nouveau pour le réalisateur. Dans Roger & Moi, il avait utilisé le morceau Wouldn't it be nice des Beach Boys comme bande son pour les images de maisons abandonnées. Ici, un des passages marquants est la suite d'images relatant les événements noirs du gouvernement américain au 20ème siècle, de la guerre du Vietnam, à l'ascension de Pinochet au Chili, en passant par le financement accordé par la CIA à la famille Ben-Laden ; la musique utilisée est What a wonderful world de Louis Armstrong, pour un public anglophone, le contraste est saisissant entre les images et les paroles de la chanson (cette chanson sera d'ailleurs reprise comme générique de fin, cette fois ci interprétée par les Ramones). Un autre exemple du choix particulier des chansons est significatif du travail de Moore ; dans la dernière partie du film, il réalise un montage alternant des extraits de discours du président Bush, des extraits de reportages américains et des interviews télé de citoyens évoquant le malaise social du moment, le morceau Americana du groupe de rock Offspring. Le montage de cette séquence est particulièrement bien réalisé, les plans changent en suivant le rythme établi par la guitare. Moore n'était pas un novice dans le montage de clips musicaux, il a par ailleurs réalisé plusieurs clips pour le groupe de rock engagé Rage Against the Machine.

Il utilise aussi des sons d'archives, comme des enregistrements téléphoniques, le plus marquant du film est l'enregistrement d'une maîtresse d'école qui appelle la police pour signaler le meurtre d'une fillette de 6 ans par un de ses camarades de classes. Aucune image n'est montrée, il y a juste un écran noir, avec l'enregistrement en fond sonore ; cette absence de repaire force le spectateur à ce concentrer sur le son qui est réel. Cela provoque une réflexion sur la réalité des choses.

Comme beaucoup d'autres réalisateurs de documentaires, Michael Moore établi des portraits de personnes, qu'ils soient valorisant ou non. Ici il interview certains survivants de la tuerie, le spectateur n'est pas sur de l'authenticité de la rencontre, Moore ne nous montre pas l'intégralité de l'entretien, mais il est tourné de façon à ce que l'on prenne parti pour la victime, même si le contraire serait difficile tant le sujet est grave. Lors de toutes ces interviews, il utilise des plans relativement simples, des gros plans parfois, et donc très peu de profondeur de plan. Pour ses entretiens « positifs », il met en place un dispositif, presque toujours le même dans ce film et dans ses autres documentaires. Il témoigne du regard de l'autre, il y a un engagement entre eux, Moore ne reste jamais neutre dans son sujet, il est une sorte de Robin des Bois du documentaire, il prend parti pour les victimes. C'est également le cas lors de l'interview de Marilyn Manson dans le film, il cherche à valoriser ce que les médias américains critiquent. Le naturel et la subjectivité de Moore contribue à la mise en place d'une réalité, et donc du réel.

Mais ses entretiens sont parfois des pièges, dont la victime est la personne interviewée, ces types d'entretiens sont visibles dans tous ses films ; dans Roger & Moi, il interroge quelqu'un de haut placé dans l'entreprise de General Motors, et le place face à la réalité des faits, face au malaise social. Il plonge sa cible jusqu'à ses derniers retranchements. Dans Bowling for Columbine, plusieurs personnes sont victimes des pièges de Moore, dès la première scène, il questionne un employé de banque sur le potentiel danger que représente leur cadeau de bienvenue en cas d'ouverture d'un compte : un fusil, et sur la contradiction que cela représente. L'exemple le plus flagrant de ses pièges est la scène finale du film : Moore demande à Charlton Heston, acteur célèbre et président de la NRA, un entretien, qu'il obtient. Michael Moore force en quelque sorte Heston à révéler sa véritable nature, en utilisant une photo d'une victime de 6 ans, tuée par balle. Le but de cet entretien est de mettre Heston mal à l'aise, ce qui est le cas, l'acteur ne sachant pas quoi faire, met un terme à l'entretien et se barricade chez lui, laissant Moore tout seul.

Dans chacun de ses films, Michael Moore développe un projet très moraliste, voir même utopiste. Pour ses attaques à répétitions, Michael Moore est poursuivi en justice 23 fois (avec 23 victoires devant la cour) par des entreprises gênées par ses écrits ou ses reportages, notamment Nike qui est contrainte, après The Big One, de mettre officiellement fin au travail d'enfants pour la fabrication de ses produits en Indonésie. Pendant le tournage de Bowling for Columbine, il a porté plainte contre la chaine de supermarchés Wall-Mart, et a contraint cette dernière à interdire la vente de munitions dans ses magasins. Derrière ses différents films se cache un grand cinéaste, qui a une maitrise parfaite de son art cinématographique, Michael Moore est un réalisateur engagé, qui fait bouger les choses.

Tout film possède un ou des points de vue. Le narrateur peut être omniscient et tout expliquer ou au contraire adopter le regard d'un personnage. Michael Moore exploite ces deux méthodes, car il est le narrateur qui développe un thème de manière extérieure en tant que cinéaste, tout en étant lui-même un personnage qu'il suit avec sa caméra, et adopte donc son point de vue. Il laisse peu de place à celui des autres, d'où le manque d'arguments et de débats contradictoires, si ce n'est lors d'interviews qui sont elles-mêmes très dirigées. La réalité est donc plus complexe et diverse que dans son film. Ce n'est pas son message qui pose parfois problème mais ses approximations, les raccourcis qu'il utilise, les libertés qu'il s'accorde. Il apparaît clairement que Michael Moore a tendance à tirer sur la réalité comme sur un élastique pour abonder dans le sens de son point de vue, entre autre politique.
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le 18 oct. 2010

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