Brooklyn Village n'est pas un chef d'œuvre dans le sens brillant du terme : c'est justement ce qu'il semble chercher à éviter. Il n'y a pas véritablement de prouesse de mise en scène, de scénario... Mais c'est au fond ce qui fait sa force : une certaine justesse dans l'expression des sentiments, dans la retranscription d'une véritable tranche de vie. La présentation du réalisateur semble pencher dans cette direction : faire résonner en chacun quelque chose qui tient de l'expérience personnelle, c'est ce qui rend le film très touchant, dans son sens le plus physique, tactile.


Le film joue sur une première dualité entre l'enfance et l'âge adulte, qui semble recouper la polarité candeur/sévérité. Ce qui semble dommage au premier abord, parce qu'un peu trop systématique et jouant sur des idées reçues. Or, les personnages des enfants particulièrement sont très bien écrits, beaucoup mieux que les personnages adultes, et contribuent à complexifier cette vision dualiste, en instaurant une nouvelle dimension, entre l'introversion et l'extraversion, une dualité qui n'est cette fois pas une séparation. Brooklyn Village s'appuie véritablement sur le chiffre 2, scénaristiquement et graphiquement, mais en créant des liens entre les pôles, notamment pour les deux jeunes héros, et en en faisant naître des divisions, particulièrement une fracture sociale, entre les propriétaires et les locataires.


En effet au coeur du film il y a une perspective sociale approfondie, sans parti pris affirmé, ce qui donne un véritable intérêt à Brooklyn Village : aucun des personnages adultes n'étant tout à fait sympathique, le spectateur est plutôt engagé à adopter la perspective des enfants, et, plongé dans ces problématiques sociales marquées par un certain fatum, incarné en partie par la soeur (et on regrettera peut-être d'ailleurs que ce personnage soit si peu présent, alors qu'il apparaît comme un rouage essentiel de l'intrigue), le spectateur est poussé à la réaction plus affective, presque corporelle.
Il y a peut-être là une piste intéressante d'analyse : le conflit des affects, présentés comme enfantins, naïfs, avec ce qui se présente comme une rationalité, et qui n'en est peut-être pas une. Le film en deviendrait presque freudien.


On recommandera donc ce film, qui sous couvert d'une simplicité apparente, d'une certaine économie, amène dans les faits une réflexion plus profonde et beaucoup moins binaire qu'il n'y paraît, bien que cette binarité soit un élément constitutif de la construction du film, et pertinent.

Anaëlle_Guillerme
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le 9 sept. 2016

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