Le cinéma suisse, c'est nul.



C'était peut-être le cas, il y a longtemps. Mais maintenant c'est terminé. Cette phrase n'a plus lieu d'être. Le cinéma suisse est grand. Plus grand qu'il ne l'a jamais été. Il a toujours ses défauts, mais les choses sont en train de bouger. Une lueur d'espoir.


Des réalisateurs très talentueux comme Michael Steiner ont déjà tenté par le passé de sortir des sentiers battus en proposant des films de genre pas nécessairement adressés au grand public, à leurs risques. La Suisse ne semble pas aimer les films qui prennent des risques (d'ailleurs, il est plus simple de produire un documentaire en Suisse qu'un film, l'inverse total de l'Allemagne par exemple) et préfère se limiter à des comédies ou des drames très sombres.
Mais voilà que débarque Niklaus Hilber et son budget minuscule de 6 millions de francs. Une somme ridicule. Et pourtant, par je ne sais quelle sorcellerie, Hilber en a fait un film extraordinaire. Un film comme on n'en avait encore jamais vu dans le cinéma suisse.


Bruno Manser est un mastodonte. Un titan. Une oeuvre d'une taille colossale. Gigantesque. Chaque scène, chaque plan. Tout est grandiose dans les moindre détails. La caméra capture avec précision l'essence et la splendeur de chaque lieu de décor. Et ô grande surprise : plus de la moitié du film se déroule dans la forêt tropicale de Bornéo. Les paysages sont somptueux et Hilber n'en loupe pas une miette. Montagnes, arbres, clairières, rivières, etc. La jungle est parfaitement utilisée et force l'admiration. Même la plupart des acteurs jouant les Penan en sont d'authentiques. Tout semble réel. Et si la splendeur des énormes plans de la canopée brumeuse n'écrasaient déjà pas assez nos rétines, la déforestation frappe encore plus fort. Les arbres tombent, les pelleteuses chargent les troncs, les camions fonçent sur des routes sinueuses. Tout est filmé à une échelle humaine et donne une ampleur gigantesque au film. Le réalisateur utilise son budget à la perfection. Les travellings aériens sont légions et de toute beauté. Et même les effets spéciaux sont réussis (sauf ce plan avec un cochon sauvage qui fonce sur Bruno Manser, un peu comme un pantin numérique), parce que ne me faites pas croire que l'équipe de production est même allé tourner à Central Park. Mais si c'est vraiment le cas, mon admiration ne fera qu'augmenter.
La réalisation de Niklaus Hilber est certes standarde, mais cela n'empêchera personne de se demander s'il s'agit réellement d'un film suisse tant la qualité se rapproche des plus grands blockbusters américains (les fonds verts sont mieux faits que d'autres gros films tels que Le loup de Wall Street). Le réalisateur se permet même d'utiliser le language de l'image pour exprimer le propos du film. Les villes sont grises, crasseuses, fumantes. La jungle, elle, est verdoyante, lumineuse, fraiche, vivante.


Mais que serait le film sans son acteur principal, Swen Schelker ! Ce type y va tout simplement à fond. Il ne fait rien à moitié. Apprendre une grande partie de ses dialogue dans un language quasi inconnu de tous ? Facile ! Escalader une chute d'eau au milieu de la jungle ? Aisé ! Ramper dans une mare de boue puis courir sur le sol forestier ? Avec grand plaisir ! Se pavaner pendant presque tout le film avec un pagne qui lui empaquette le derrière comme un jambon ? Discutable, mais on le fait ! Schelker a fait un travail bluffant. Et même si on a bien souvent envie de rire de sa coupe mulet et de son accoutrement peu conventionnel, il faut bien avouer que l'acteur est la copie conforme du véritable Bruno Manser.


Et pourtant, malgré tous ces éléments fort réjouissants, le film laisse un goût amer lorsque le générique de fin débarque. On se sent triste. Pourquoi ? Parce que si on connait un peu l'actualité, on sait que tous les efforts de Bruno Manser n'auront quasi servi à rien (le film lui-même le rappelle). La jungle de Bornéo a été pratiquement entièrement déboissée pour son bois puis utilisée comme culture à huile de palmes.... que l'on retrouve plus tard dans la pâte à tartiner préférées des petits et grands ! Le Nutella prend rapidement un tout autre goût après le visionnage : le goût de la désillusion et de l'échec.


Mais était-ce là l'objectif du film de Niklaus Hilber ? De nous faire relativiser ? De nous faire prendre conscience de la situation dramatique d'un paradis perdu ? bruno Manser serait un film écolo dont le but est de faire de la propagande ? Peut-être. Mais ça ne serait que la façe immergée de l'iceberg. C'est un grand film. Pas un chef d'oeuvre (il tire un peu en longueur par moment et a placé une romance inutile entre le héros et une Penan) mais il délivre par la puissance de ses images, du jeu de ses acteurs et de son message. Une oeuvre puissante et intelligente dont les 10 années de préparations auront grandement valu la peine.


Que nos mémoires se souviennent de Bruno, et que vive le cinéma Suisse !

MonsieurNuss
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le 18 janv. 2020

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MonsieurNuss

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