Ca n'aurait jamais dû arriver
Rare sont les films cultes tournés avec peu de moyens, C'est arrivé près de chez vous fait parti de ceux là et réalise le tour de force de produire avec seulement trois personnes l'intégralité d'un processus de film. Rémy Belvaux, André Bonzel, Benoît Poelvoorde, à eux trois ils représentent toute la mécanique d'une uvre que l'on peut véritablement qualifier d'OCNI ( objet cinématographique non identifié ), car non seulement le résultat est très original mais il lance aussi la carrière de Benoit Poelvoorde. C'est cet ensemble de facteurs (mais pas seulement) qui lui vaudront le statut de film culte, non seulement en Belgique mais aussi en France.
Il est une maxime propre à la définition du film culte qui dit : « soit on aime, soit on déteste », et c'est sur cette particularité, bien qu'argumentée, que se situera ma position à l'encontre de cet OCNI belge pas comme les autres. Tourné à la façon d'un documentaire amateur, « C'est arrivé près de chez vous » suit la virée macabre d'un serial killer Belge filmé par une équipe de journalistes dans son quotidien autant que dans ses meurtres réguliers. Réalisé en noir et blanc, faute d'argent, le film se veut une parodie cynique de la célèbre émission Strip-tease (documentaires belges dans lesquels les journalistes s'effacent pour laisser parler les protagonistes seuls et les mettre à nu) et se place à travers la vision subjective de la caméra à chaque instant. La démarche est plutôt décalé et le ton paradoxalement sérieux, dès son début le film s'imprègne d'un humour noir propre au caractère dramatique et dérangeant de ce procédé journalistique. Pourtant même si les réalisateurs installent humour et parodie, le film souffre d'un manque de recul évident entre son côté « documentaire » et son statut de film à part entière, l'humour noire omniprésent est parfois second degré mais flirte trop souvent avec le 15e et il parfois difficile, voir dérangeant, de différencier la part de réalisme et d'ironie que tente d'installer Poelvoorde et ses compères.
Pour son premier rôle Poelvoorde y est pourtant extrêmement convaincant (trop ?) et porte un personnage cultivé mais raciste dans tout ce qu'il a de plus malsain et d'inquiétant, il entreprend un quasi monologue existentiel aux dialogues souvent Van Dammien (tiens, un autre belge), ceci dit rien ne pourra être reproché à un acteur qui atteint son but : faire réagir le spectateur. C'est un peu à l'image du film finalement, ce besoin de vouloir choquer, de repousser les limites d'une expérience aussi perturbante soit-elle, ça renvoi d'ailleurs indirectement aux excès de la télévision, à cette limite entre le privée et le public, l'intime et le personnel.
Ça sera la seule évidence ici, car pour le reste c'est étrangement ambiguë, simple critique des dérives de la télévision ? Exercice de style glauque et décalé ? Psychanalyse d'un serial killer ? On manque sérieusement de piste et la mise en scène délibérément amateur n'aide pas à une éventuelle compréhension de l'uvre. Voir Poelvoorde commettre impunément tous ces crimes (ça va de la vieille dame aux jeunes enfants, du viol à la dissimulation de cadavres) sous l'il passif des gens qui l'entoure instaure un climat pesant, troublant ; il y a un peu d'Orange Mécanique dans C'est arrivé près de chez vous, le génie en moins, et on traverse le film habité d'un malaise palpable, impatient de voir l'interminable se conclure.
On en revient à la maxime du début : un film culte, soit on aime, soit on déteste, et nul besoin de relire la critique pour constater que je lorgne clairement vers la deuxième partie. Tour à tour provocant, déroutant ou consternant, C'est arrivé près de chez vous n'a de culte que son originalité et a un mal fou à trouver son équilibre entre farce parodique et drame morbide, les trois réalisateurs nous font là une blague (Belge) de très mauvais goût.