Initialement, je devais aller voir First Man avec un ami, puis comme je n'étais pas dans le mood, nous avons opté pour le Grand Bain... Mais comme cet ami est arrivé super en retard et que c'était le jour de sa sortie, nous nous sommes repliés sur Capharnaüm qui allait commencer. Si je n'étais pas vraiment d'humeur pour First Man, inutile d'expliquer que Capharnaüm n'était pas le film le plus adapté pour respirer la joie de vivre à la fin de la séance !


Et pourtant, de l'espoir et un (semblant) de joie de vivre, il y en a dans ce film. Avant même d'évoquer l'histoire et les acteurs, il y a un autre acteur qui mérite quelques minutes d'attention, moins humain mais qui prend une place tout aussi importante dans le film : Beyrouth, et bien entendu Liban en général. Produit de la génération de la fin des années 70, j'ai vécu une grande partie de mon enfance avec les images désastreuses de la guerre du Liban, un Beyrouth ravagé par les bombes et les assauts militaires. Ces images étaient d'autant plus fortes que cette guerre faisait partie des premières guerres couvertes par la télévision, à grand renfort d'envoyés spéciaux sur le terrain pour rendre compte de l'horreur de ce conflit. Une fois la guerre officiellement terminée, je m'étais construit, allez savoir pourquoi, une image du Liban comme un pays reconstruit, avec une guerre loin derrière elle, et un positionnement assez neutre dans les conflits arabes plus récents, notamment parce que le Liban avait réussi à contenir l'islam radical qui s'étendait dans les pays voisins, cultivant son image de pays progressiste.


Force est de constater que ce film a déconstruit une partie de l'image idyllique que je m'étais faite du pays. Les conditions de vie du jeune Zain, un appartement réduit dans lequel il s'entasse avec ses parents et ses enfants, mettent d'emblée en avant la ghettoïsation d'une partie de la population de Beyrouth. Sans jamais le montrer, Nadine Labaki nous fait bien comprendre que deux mondes s'oppose : une certaine vie dorée de la population (les "Madame" employant les clandestines éthiopiennes, les grosses voitures...) avec la réalité du bidonville dans lequel vit Zain et sa famille. Les travelling aériens rendent compte de l'étendue de cette zone délaissée par le pouvoir libanais. À plusieurs reprises, l'écran se retrouve scindé en deux par ce qui ressemble à un périphérique (toute ressemblance, toussa, toussa) comme pour bien marquer la césure entre ces deux mondes qui ne se croisent même pas, au final.


L'histoire se concentre sur la vie d'un jeune garçon, dont finalement, on ne sait rien, pas même son âge exact ; ses parents n'en savaient rien eux-mêmes. Au bout de 15 minutes de film, on apprend que ce jeune garçon de 12 ans porte plainte contre ses parents pour l'avoir mis au monde (je ne spoile pas, c'est dans la bande annonce). Et delà, on remonte un peu dans le temps, et la caméra, à hauteur d'enfant, ce qui rend encore plus facile l'immersion dans sa vie d'enfant, va se positionner en spectateur de sa vie, sans pour autant faire preuve de voyeurisme. Et c'est aussi en ça que le film de Nadine Labaki est réussi : à aucun moment il ne verse dans le pathos inutile (je n'ai pas versé une larme du film, ce qui est un exploit, et ne fait que mettre en avant les réalités de la vie de Zain. La réalisatrice parvient mettre à glisser quelques moments de grâce et d'humour, sans que cela ne soit choquant au demeurant. Les parents de Zain, coupable d'avoir voulu se conformer aux règles implicites de leur culture, ne trouveront guère grâce aux yeux du spectateur, mais pour autant, lorsqu'ils s'expliquent les raisons qui les ont poussés à agir de la sorte, on parvient malgré tout à comprendre, sans pour autant excuser.


Les acteurs du film, tous amateurs, il me semble, et directement en provenance du Beyrouth dépeint dans le film, sont incroyables de justesse. On partage la colère de Zain, on soufre Rahil, sa compagne de fortune immigrée, on se met en colère face aux parents qui subissent, on présage le côte malfaisant de Aspro ainsi que le drame qui va toucher Zain. Tout est fait pour donner à voir aux occidents que nous sommes la réalité de vie des libanais à Beyrouth. En toile de fond, Nadine Labaki fait état de la réalité de l'immigration illégale au Liban, et un peu comme l'Italie pour l'Europe, met en avant le pays comme la porte d'entrée de l'immigration africaine. L'exploitation en toute illégalité de ces immigrés par des familles aisées (une nouvelle fois, toute ressemblance...) est touchée du doigt, sans pour autant le dénoncer ouvertement.


On pourra regretter à Nadine Labaki de ne pas traiter à fond les sujets, ne faisant que les effleurer. Mais au final, l'inculte que je suis permet de (re)mettre à jour ses informations sur le Liban et sa réalité. Même si ces réalités sont moins criantes en France, car peut être moins visibles, que les cultures ne sont pas identiques, pour autant on ne peut s'empêcher de faire quelques va-et-vient entre les réalités de vie des personnes vivant dans nos banlieues et les centres urbains ; la guerre exceptée.


Le plan final est une véritable ode à l'espérance, et a réussi à me tirer une larme tant la symbolique est belle. On ne peut que souhaiter à Zain et ses proches de profiter d'une meilleure vie à venir.

ArnaudCDrmnt
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le 25 oct. 2018

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ArnaudCDrmnt

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