Vouloir faire de la philo avec des enfants de 3 et 4 ans. En voilà une idée saugrenue, voire stupide quand on entend comment sont considérées les maîtresses en France par les instances politiques:
« Est-ce qu'il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits délégués par l'Etat, que nous fassions passer des concours bac +5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches? Je me pose la question «
Xavier Darcos, 3 juillet 2008, Commission de finances du Sénat

Ce commentaire est inséré parmi d'autres extraits sonores en exergue du film, et viennent créer une toile de fond sonore, où les clichés sur l'éducation, le système éducatif, et sur une nécessité de faire du chiffre même dans les cursus pédagogiques se mêlent.
Petit à petit la caméra se fixe, arrive dans une école de banlieue parisienne, se dépose dans une classe de maternelle, avec une maîtresse à l'apparence quelconque. Quelconque, parce qu'elle n'a pas l'air extraordinaire, ne semble pas porter le flambeau d'une révolution, mais être juste une maîtresse désireuse de faire découvrir de nouvelles choses à ses élèves. Une maîtresse quelconque à l'initiative extraordinaire.

La mort, l'amour, la liberté, autant de débats qui forment les séances de l'atelier de philosophie. Les thématiques abordées prennent la forme de minis débats, mini parce que ces enfants ont leur taille d'enfants sur leurs petites chaises; et quand ils se lèvent pour affirmer qu'ils ne sont pas d'accord avec le point de vue d'un autre, on se souvient qu'ils sont encore de minis enfants parce que le haut de leur corps ne dépasse pas les genoux de la maîtresse, qui elle même est assis sur une mini chaise.
Des minis débat, parce que le vocabulaire employé est un vocabulaire d'enfant, de ce fait compréhensible par tous. Ces tremplins sont un tremplin pour la discussion, la réflexion, sur des questions existentielles. Dans leurs bouches ces questionnements ont extraordinairement tous un sens.
La maîtresse, très présente dans les premières séances, s'extrait de plus en plus des discussions, pour ne finir par être que la modératrice des débats, permettre à chacun de prendre la parole, de s'exprimer, de laisser se déployer la parole. Une maîtresse qui décemment se questionne sur le désengagement de sa fonction, comment les enfants peuvent alors « ne plus » avoir besoin de l'adulte, pour intelligemment être ensemble.

Mais alors d'où vient cette grossièreté dite par le Ministre de l'Education Nationale de penser que les enfants ne savent pas penser, quand on constate, observe, s'aperçoit, que ces minis adultes en culotte courte ont la pertinence du verbe, tiennent des propos aussi limpides qu'intelligents, ont la capacité de se questionner et de ramener la réflexion à la base du « vivre ensemble » autour de questions fondatrices, aux réponses élémentaires.

Ce documentaire se déroule essentiellement dans l'école, entre la salle de classe et la cour de récréation, puis petit à petit, des plans larges et vidés de ses habitants nous contextualisent le lieu où elle se trouve. Des plans souvent construits sur la base d'un contraste visuel entre l'architecture rude des bâtiments de banlieue et un espace de jeu pour enfants, ou ces mêmes bâtiments avec des espaces de nature. Des plans qui s'élargissent pour aller petit à petit de la salle de classe, pour aller dans les rues et pour finir dans les appartements des familles. Un déplacement de la caméra qui tend à nous rappeler que l'école est l'activité des enfants, et que chaque information repart individuellement dans des foyer, cette caméra qui s'immisce dans la vie privée est métaphoriquement l'usage de ses discussions philosophiques qui se continuent « à la maison », un débat qui s'ouvre, un espace de parole qui s'envisage. La parole philosophique naît, ici, en collectif et se redirige vers l'individu.

Dans le socle éducatif français, l'école reste le système d'épanouissement et d'intégration. Favoriser le discours, l'échange, la discussion, c'est autant de clefs proposées au développement individuel et l'épanouissement de chacun. Ces femmes qui changent des couches, peuvent aussi être des aides à l'intégration et à la citoyenneté. Et oui dès le plus jeune âge. En saisissant cette opportunité de développer des temps de réflexion avec ces futurs adultes, la maîtresse inscrit ici la possibilité qu'ils puissent se servir de cet outil : « la réflexion ». Ce documentaire nous montre encore que ce ne sont pas les politiques qui mènent un pays, mais bien ces acteurs qui inscrivent des gestes politiques au sein de leur métier.

Atelier Philo proposé par les éditions Pomme d'Api :

http://www.bayardeducation.com/category/intro-ressources-enseignants/intro-pomme-d-api/pomme-dapi/

http://www.cenestquundebut-lefilm.com/enseignants/

Thomas


http://tometnoevontaucine.wordpress.com/
ThomasParis
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le 11 janv. 2011

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