Chienne d'histoire
6.4
Chienne d'histoire

Court-métrage d'animation de Serge Avédikian (2010)

Constantinople 1910. Dans une rue sans âme se battent plusieurs clébards pouilleux. Au milieu d'une place une chienne engrossée par on ne sait quel cabot miteux commence à mettre bas. Ici c'est la loi de la jungle, celle des plus forts mais aussi des plus nombreux. Ces molosses se sont reproduis comme des rats et la ville est maintenant sous leur pouvoir. L'homme n'est plus chez lui, il est chassé. Heureusement une bande de politiciens, eux aussi sans âme, déclarent une guerre puis un génocide envers ces corniauds infâmes. Ici ce n'est pas le monde de Disney, il n'y a pas de gentils toutous clochards. C'est un monde effroyable et violent.


Chienne d'histoire nous montre la brutalité sans égal de l'homme envers ces chiens qui ferait hérisser les poils de n'importe quel bénévole de la SPA. Cette violence est magnifiquement soulignée par une musique de Michel Karsky qui pourrait, sans mal, faire saigner les oreilles du plus grand musicologue comme celle du plus petit profane. Chaque note est une agression pour nos tympans.


Ce monde froid, dangereux et violent est parfaitement souligné par le style de peinture choisi, qui fait penser à l'expressionnisme allemand. Des bourgeois se trimbalant en bateau sont horrifiés à la vue de tous ces clébards paumés. Leurs yeux sont exorbités et leurs mâchoires déboîtées par les cris muets qu'ils poussent à la manière du personnage de la peinture de Munch. Les peintures appuient ici la brutalité de cette histoire, grâce notamment aux images saccadées et abstraites. Le style de ce court-métrage ne nous laisse pas indifférent car la forme mi-figurative, mi-abstraite nous pousse à nous interroger et à essayer de comprendre ce que l'on voit. Ces rues sombres et déformées nous plongent dans une atmosphère glauque, contrairement au milieu politique d'une blancheur extrême.


Une alliance parfaite de la musique, des sons et des images nous remue de l'intérieur sans avoir recours aux facilités de l'identification, des pleurs des personnages à n'en plus finir, ou de la musique orchestrale dans laquelle le violon serait capable de tirer des larmes à n'importe quel catatonique. La séparation de cette mère et de ses deux lardons nous touche. La violence des cabots, motivé par la survie sera remplacée par la brutalité des hommes peureux et haineux.


Les adeptes de l'animation de Disney, Pixar ou Dreamworks, auront l'impression d'être volés par le montage saccadé, l'absence de parole, et les multiples plans sur les images fixes où seuls les mouvements de caméra et le son animent la peinture. A leurs yeux ce court-métrage pourrait sembler techniquement médiocre. Celui-ci donnerait alors la sensation de ne pas être terminé et de souffrir d'un manque conséquent de budget. Mais c'est justement cette agression visuelle, mais aussi sonore, qui fait que la mise en scène de Serge Avédikian, sans essayer de tirer facilement les larmes, nous met mal à l'aise face à tant de peur, de haine et de violence. Sans jouer la carte de la facilité il arrive à nous toucher et à nous interroger sur la maltraitance animale. Cependant cette réalisation ambitieuse nous laisse sur notre faim lorsque nous découvrons la simplicité de ce message. Le sujet n'est pas assez conséquent pour la mise en scène et cela donne alors le sentiment que le travail de ce réalisateur est malheureusement gâché.


Malgré le fait que c'est un clebs que nous suivons, l'inhumain tient une grande place dans ce film. C'est l'homme qui provoque la plus grande vague de violence et de tuerie. Des hommes totalement détachés du monde. Des aristocrates et des politiciens qui ne voient que des papiers, des chiffres et non pas des êtres vivants. Ils n'entendent pas non plus les jappements incessants des molosses perdus sur leur caillou. Seuls ceux prenant le bateau font face à cette réalité. Avec un peu plus d'ambition et de précision, Avédikian aurait pu aborder différents sujets qu'ils soient politiques (par exemple sur la colonisation ou sur la préparation de la boucherie que sera la première guerre), sociaux (les différences de classes) ou autres. Il n'a gratté que la surface du potentiel de ce scénario et finalement nous avons la très désagréable impression de regarder un film promotionnel pour 30 millions d'amis ou pour la SPA.


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le 4 août 2017

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