Il est toujours regrettable de voir des personnes avec de (très) bonnes intentions ne pas parvenir à transmettre le message qu'ils voulaient faire passer. Que ce soit par maladresse, inexpérience, manque de recul ou tout cela à la fois. Sans totalement rejeter Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu, il témoigne justement de l'écart possible entre une idée et son exécution, avec un racisme parfois tellement caricatural qu'il en perd toute substance, quelque soit le degré. Et comme ce long-métrage n'est pas un cas isolé, le cinéphile serrera toujours les fesses lorsqu'un réalisateur et/ou scénariste propose un récit mettant en scène une minorité ethnique et son rapport avec un monde rempli de préjugés et d'idées reçues. Heureusement, Chocolat échappe à (presque) tous ces pièges.
Sans broyer du noir...
Le biopic est un genre en vogue dernièrement, bien que je doute que ça soit une mode datant de notre génération. L'avantage avec ce type de récits, c'est qu'il permet, au choix, d'utiliser toutes les ficelles de la mise en scène pour sublimer un récit passionnant de base (sinon, quel intérêt d'en parler ?) ou bien de (re)mettre sur le devant de la scène un personnage peu connu du grand public. Ce que fait Chocolat en nous présentant ce clown noir qui révolutionna le monde du cirque grâce à son duo avec un autre plaisantin, blanc celui-là, car jusque-là, personne n'envisageait une association de ce type et pour cause : nous étions à la Belle Epoque, soit au début du XXè siècle.
Or le film évite justement de se focaliser sur le racisme auquel fait face Chocolat. Il est évidemment abordé, non sans deux ou trois scènes assez brutales, mais il n'est pas le centre du récit : il ne fait qu'illustrer le contexte. Il braque donc les projecteurs sur notre distributeur à sourires, lequel n'est pas idéalisé comme on aurait pu le craindre. S'il est d'un côté jovial, charmeur, drôle et bien évidemment talentueux, il est également buveur, coureur de jupons, joueur et parfois peu appliqué à son travail. Au grand dam de son partenaire qui, à l'inverse, est tout en sobriété en dehors de la scène ("Je ris dans ma tête" dit-il). Dommage que ses démons intérieurs ne soient pas exploités jusqu'au bout.
Rires et châtiments
Cela étant, en dépit de cette anicroche, l'écriture est particulièrement soignée. Cela se ressent particulièrement grâce aux émotions que le film nous procure. Plus on progresse dans le récit, plus on comprend le côté dramatique de la carrière de Chocolat, qui fait rire en partie parce qu'il conforte le public dans ses préjugés. On passe rapidement du rire franc au rire jaune ou inversement, sans tomber dans le larmoyant ou le drame facile car il est facile de comprendre ces personnages. Nous avons un artiste noir qui veut faire oublier sa couleur mais se voit enfermer dans un rôle et l'autre qui a peur de replonger dans l'ombre, car il n'y a pas plus grand drame pour un clown que de ne plus réussir à faire rire. Deux thématiques qui nous sont encore bien familières aujourd'hui, entre ces maîtres comiques rongés par l'angoisse (pensée à ce cher Robin Williams) et ces acteurs de couleur se sentant encore marginalisés et sous-estimés (voyez la polémique récente sur les Oscars).
Mais pour compléter le script, il faut une prestation qui le mette en valeur et choisir Omar Sy pour incarner un personnage coloré et jovial au sourire communicatif allait de soi. L'acteur préféré des Français est d'un naturel désarmant dans ce rôle et son mérite est accentué par rapport à Intouchables car il fallait singer les mimiques de vrais artistes, d'où la présence de James Thierrée (petit-fils de Chaplin, hé oui !) qui baigne dans le milieu du cirque depuis son plus jeune âge. Ils sont donc tout aussi attachants en tant que personnages que convaincants en tant que performeurs, la dernière séquence en est une preuve flagrante.
Du point de vue visuel et auditif, la reconstitution est d'un très bon niveau, nous plongeant davantage dans l'ambiance de l'époque ou celle des chapiteaux, avec une réalisation ne sublimant rien mais qui fait très bien son travail, de même que pour la musique. Je regrette surtout un rythme quelque peu haché, certaines séquences ou parties me semblaient accélérées, d'autres un peu plus longues tandis qu'on arrive trop rapidement à la fin. Quant aux libertés prises avec l'histoire du vrai Chocolat (je ne la connaissais pas mais je me suis renseigné après coup), elles ne me paraissent pas gravissimes, nous savons tous qu'un film doit adapter avant tout et peut se permettre des digressions si elles ne nuisent pas au récit raconté sur grand écran.
Noir c'est noir, il y a de l'espoir...
Sans être le film du siècle, c'est un excellent travail qui nous est présenté ici. Une réalisation efficace, une très bonne écriture, une interprétation idéale le tout nous faisant ressentir diverses émotions (parfois en même temps) et nous présentant un parcours à la fois intéressant pour ce qu'il est et pour ce qu'il met en avant sans nous le jeter à la figure. Maintenant, une question : est-ce que Omar Sy réussira un jour à jouer un personnage antipathique ? Non pas que le bonhomme manque de talent mais il me parait trop sympathique et attachant pour qu'on accepte de le voir revêtir les traits d'un salaud. Mais qu'il me fasse mentir !