*Critique publiée sur www.cinemasie.com dans le dossier couvrant le 12ème Festival du Film Asiatique de Deauville en mars 2010 *
Il fallait attendre les coups de 19h30, après une pause sandwich bien méritée, pour assister au plus beau film du festival, City of Life and Death. Etrange me direz-vous, pour un film de guerre fleuretant très souvent avec l’insoutenable. En plein cœur de Nankin au cours de sa prise par l’armée japonaise en 1937, nous suivons les soldats japonais et résistants chinois dans ce que l’on pourrait appeler un véritable génocide. Dans son introduction, les chants de théâtre Kabuki se font entendre avant le premier affrontement, la caméra capte les visages au plus prêt, rappelant le cinéma soviétique d’avant-guerre, le massacre peut débuter. On rassemble les corps des résistants chinois comme du bétail avant de les massacrer à coup de rafales de balles, ou bien on les enterre vivant avant de danser sur le tas comme pour célébrer une fête. Avant quoi, « la Chine ne mourra pas » est hurlé par un résistant anonyme, puis repris par la foule. Il n’y a pas un seul héros dans City of Life and Death, l’héros est un groupe résistant. Et tandis qu’une importante personnalité nazie établit avec l’aide d’américains un camp sécurisé en accord avec l’armée japonaise –ici soudoyée-, les femmes sont violées, jetées par les fenêtres. L’humain n’a plus d’importance lorsqu’il ne sert que d’objet de réconfort. Le chantage du sexe contre des provisions devient alors un commerce courant.
Lu Chuan filme alors les atrocités les plus abominables en passant très peu par la case hors champ, comme pour rappeler ce qu’est la guerre, ce qu’elle engendre.
Et si les soldats japonais sont montrés comme des êtres haïssables, Lu Chuan prend aussi le temps de les montrer sous un jour différent : les bourreaux d’un jour s’amusent, chantent, rigolent comme n’importe quel être humain. Pourtant, il n’est pas rare de les voir commettre des atrocités le temps d’un raccord. C’est toute la particularité du film, cette mixture improbable entre séquences de barbarie et d’autres bien plus humaines lorsqu’elles ne sont pas humanistes, allant jusqu’à traiter un soldat japonais avec empathie, l’un des seuls à avoir une conscience. Le secrétaire du « protecteur nazi » est un autre exemple, bien qu’il n’hésitera pas à signer un accord avec les japonais, visant à prostituer ses compatriotes chinoises pour sauver la vie de sa famille et, qui sait, celle de ses frères et sœurs. Qu’aurions nous fait à sa place ?
Lu Chuan nous pose là, face à cette responsabilité. Mais City of Life and Death est un chef d’œuvre. Un film qui prend aux trippes 2h15 durant sans nous lâcher une seule seconde, étalant sa maestria formelle, ses images et propos absolument bouleversants, entre barbarie absolue et optimisme en guise de rayon de soleil final. Un terrible objet cinématographique, ponctué de morceaux de bravoure et de moments de cinéma proprement immenses (les mains levées des futures femmes de réconfort, le sacrifice et la parade en fin de métrage parmi tant d’autres). Il est néanmoins difficile de tout résumer tant City of Life and Death regorge de moments marquants.
A ce stade là ce n’est même pas une surprise, c’est une révélation définitive, qui devra se contenter prochainement d’une simple sortie dvd. Triste. A noter qu’il aura fallu 6 mois à l’équipe du film pour valider le scénario auprès des autorités chinoises, et six mois supplémentaires pour approuver le film terminé. Chaud les marrons.