Bernadine Williams (Alfre Woodard) est directrice d'une prison où tout n'est que froideur. Froideur des lieux, des lumières, froideur des murs, des procédures. 
Une exécution par injection létale se prépare. Le détenu Jimenez est sanglé. Seuls les bips du moniteur cardiaque brisent le silence. D'un hochement de tête, l'auxiliaire médical indique qu'il ne trouve pas la veine. Une parole, enfin : « J'essaie son pied ». Des cris de douleur, quelques prières. La veine est trouvée, la première injection peut commencer. On ouvre le rideau pour que quelques spectateurs triés sur le volet puissent assister à l'assassinat. Mais décidément l'homme est récalcitrant et, malgré l'ultime injection, refuse de mourir aussi vite que prévu.
Cet incident, petit grain de sable dans la machine judiciaire et pénale (« la goutte d'eau » comme dit le prêtre), va hanter Williams et son personnel. L'annonce d'une prochaine exécution, celle d'Anthony Woods (Aldis Hodge), accusé du meurtre de Robert Collins durant un cambriolage, va peu à peu fissurer l'armure de l'intransigeante directrice.
Woods est enfermé depuis quinze ans dans le couloir de la mort et supporte de plus en plus mal l'incarcération. Il adresse uniquement la parole à son avocat, Marty Lumetta (Richard Schiff). Dans une séquence sobre et puissante, la caméra tourne autour de Woods faisant les cent pas dans une minuscule cour de promenade, mouvement circulaire qui renforce la claustration et la rumination du personnage, sous un ciel grillagé. Dans sa cellule, il a accroché naïvement quelques dessins d'oiseaux qui prennent leur envol. L'avocat, désabusé parce qu'expérimenté, sait qu'il n'y a plus rien à attendre de l'administration. Il entame son dernier combat avant la retraite, sachant qu'il est perdu d'avance. Durant un bref travelling très évocateur on le voit, défenseur des causes perdues, quitter la prison et saluer furtivement un tout petit groupe de militants en faveur de l'abolition de la peine de mort, avant de rejoindre, tête baissée, sa voiture garée sur le parking.
Bernadine Williams est l'incarnation d'une administration déshumanisée et déshumanisante, procédurière, glaciale et implacable. « Je fais mon boulot », dit-elle à Lumetta. Lorsqu'elle explique en détails à Woods la procédure de l'exécution, elle n'a dans la voix aucune émotion. Elle décrit froidement le protocole, à travers les barreaux, tandis que le détenu pleure, les yeux exorbités, pleins de terreur et d'incompréhension. Plus tard, elle énumérera de la même manière à l'intention de Woods quelques mets possibles pour son dernier repas. Devant son silence, elle cochera sur son formulaire la case : « Pas de repas ».
Le travail occupe entièrement Bernadine et la plonge dans une grande solitude. Son couple s'étiole. Elle n'entretient plus avec son mari qu'une relation fantomatique (celui-ci lit d'ailleurs à ses élèves un passage de *Invisible Man* de Ralph Ellison). Elle ne parvient plus à dormir correctement à cause de cauchemars récurrents qui concernent les exécutions qu'elle a supervisées. Elle passe ses nuits hors du lit conjugal, à regarder la télévision dans le canapé du salon.
Anthony Woods apprend quelques jours avant son exécution qu'il a un fils, Michael. Cette nouvelle lui redonne l'espoir fou de pouvoir fonder une famille. Sa compagne d'avant l'incarcération, Evette, vient lui rendre visite pour la première fois et va saper ses dernières espérances. Hélas, la scène est mal écrite, peu crédible (on comprend mal pourquoi elle revient après quinze ans de silence...) et trop larmoyante pour nous émouvoir. Le film nous a jusqu'à présent tellement tenu à distance des personnages qu'il nous est impossible d'éprouver de l'empathie.
L'appel d'Anthony Woods rejeté et les derniers recours épuisés, son exécution est inéluctable. (On regrettera d'ailleurs que les nouveaux éléments sur l'affaire nous soient donnés à plusieurs reprises, procédé peu subtil, par les informations télévisées et radiophoniques suivies par Bernadine). Durant un plan de deux minutes sur le visage de Bernadine qui pleure à grosses larmes, on voit la carapace de la directrice en train de se craqueler. Son nez coule, ses yeux rougissent, la mâchoire se tord. La fonction s'efface, sans doute irrémédiablement. Le moniteur cardiaque finit par émettre un son aigu et continu. Anthony Woods est mort, hors champ. Mais pas seulement lui, car c'est toujours le visage de Bernadine qui est cadré. Plus personne ne répond à l'appel : « warden ? », « warden ? » La directrice est morte. « Heure du décès : 23h23 ». Le prêtre, en l'appelant par son prénom, la fait sursauter comme on sursaute après un mauvais rêve. Les dernières consignes relatives au bon déroulement de la procédure (trois phrases à l'impératif) sont données par l'adjoint. « Tu es avec nous ? » demande-t-il à Bernadine. Elle ne prononcera plus un mot. Non, elle n'est plus avec eux. La dernière séquence s'apparente à une sortie des Enfers (lumière orange d'un brasier, hurlements d'outre-tombe) avec peut-être, au bout du corridor, une possible renaissance.
Bien qu'il soit monotone et prévisible, Clemency propose un point de vue original : nous montrer la violence froide de l'administration plutôt que la violence carcérale. Les longs silences, lourds de sens, sont particulièrement appréciables, de même que l'ensemble du travail sonore (claquements des portes, bips du moniteur, protestations sourdes entendues depuis le bureau de la directrice, etc.) Les acteurs, Alfre Woodard, Aldis Hodge et Richard Schiff en tête, sont impeccables. Mais la réalisation glaciale engendre malheureusement un grave déficit émotionnel et nuit à l'investissement affectif du spectateur.
Sur un plan éthique, on pourra trouver dommage que le film ne remette en question la mise à mort que lorsqu'elle est trop lente (Jimenez) ou qu'elle concerne des individus potentiellement innocents (Williams). L'assassinat rapide, par une institution étatique, d'un coupable certain est-il alors acceptable ? De la même manière on pourra trouver salutaire qu'un film montre les dégâts que provoque une administration sur ses serviteurs les plus zélés, en ne manquant pas de se demander si cette monstration ne pouvait se faire qu'au détriment d'une sympathie pour les condamnés.
MonsieurPoiron
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le 29 sept. 2020

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