C'est l'histoire d'un homme assis dans le métro. Des heures durant, les usagers passent et repassent devant lui, l'ignorant, ne décelant pas pas l'évidence. Il n'est plus. Vous venez de faire la connaissance de Los Angeles. Plus que toute autre cité, Los Angeles prouve à ses habitants que le tout n'est pas nécessairement la somme de ses éléments. Los Angeles, vit, toujours, sans interruption. Ses synapses, humains, la parcourent tout le long vingt-quatre heures sur vingt quatre le long de ses artères, ses autoroutes, boulevards et lignes de métro. Son aéroport est l'un de ses multiples centres névralgiques, avec son port, son centre ville, ses stations service et ses multiples lieux de détente comme de tension. Los Angeles se rappelle au bon souvenir de tous chaque soir, en brillant de mille feux, jusque dans l'espace. Los Angeles est un personnage à part, que l'on vient trouver, tel l'Oracle, afin d'y trouver la solution à ses problème. On y cherche une fortune, un futur, une raison d'exister, de sortir de son trou. Ceux qui y sont nés ne souhaitent, sans en être conscients, que la fuir à toutes jambes. Mais ils sont incapable d'envisager la vie sans elle, aussi se contente-t-on d'une photographie. Allons, L.A. le supportera bien.

À Los Angeles, les rêves peuvent devenir réalité, mais il faut du temps, que tout soit prêt. L.A. vous invite alors à prendre un job temporaire... pour toujours. Mais L.A. n'est pas toujours actrice, il lui arrive de demeurer la spectatrice d'une pièce qui se joue sans elle, qu'elle tolère. C'est ce qui se passe tous les jours, plusieurs milliers de fois, lorsque quelqu'un lève le bras et... prend le taxi.

Le taxi, plus que tout autre endroit, est un lieu imposant le dialogue. Il n'est pas automatique, l'on est contraint de s'adresser à la personne qui le conduit. On peut certes l'ignorer ensuite mais cela n'est pas toujours possible. Car d'une part la promiscuité, étrange et inconnue, dérange et force à rompre la glace et d'autre part, il y a des moments où on ne peut plus. Mais cela peut également être beaucoup moins innocent... Alors Los Angeles observe, intéressée car après tout même pour elle la vie peut être monotone.

Mais Los Angeles, quand elle souhaite se divertir, ne s'intéresse pas aux divorcés en sursis qui s'engueulent le temps d'une course, ni aux maris jaloux venus observer leur femme la nuit en parlant d'un .44 Magnum au chauffeur, ni à Jodie Foster ou même des directrices de campagnes électorales. Elle laisse ça à la Grande Pomme à ses taxis jaunes car elle préfère un autre genre de glauque, plus propre, mais au fond tout aussi angoissant.

Aussi lorsque Vincent surgit dans la vie de Jamie 'Max' Foxx, tel un atome crochu dans une chute éternelle, les anges s'adossent confortablement sur leur divan, règlent leur ampli et assistent au spectacle. Ils ne sont pas inquiets, ils sont, en définitive, le liant qui permet tout, et quoiqu'il advienne, c'est sous leur empire que ce road movie va se dérouler.

Vincent et Max sont les exemples même des vies solitaires si caractéristiques de la cité des anges. Le second fait partie de ceux qui ont tout acceptés de leurs hiérarchques ailés. Le premier, persuadé de s'en être libéré, n'en demeure pas moins un de leurs serviteurs les plus fidèles. Sa révolte ne l'a amené qu'à embrasser davantage le comportement de l'objet de son mépris. Vincent, plus que tout autre, est une bille de flipper évoluant à toute vitesse dans les artères de Los Angeles, et les anges sont aux manettes. Vincent a saisi la puissance des forces à l'oeuvre mais s'avère incapable d'en tirer leçon et de s'en libérer. Aussi se trouve-t-il dans ce taxi, à dire ses quatre vérités à Max tout en accomplissant sa sinistre besogne tant et si bien filmée par les anges, qu'il s'agisse d'un jeu de massacre dans une boite de nuit, d'une exécution étrangement humaine à l'issue d'une soirée jazz, ou de la chute d'un homme, tués par des balles, et c'est très vrai car Vincent n'existe pas, et Tom Cruise nous l'explique si bien en trois répliques et deux regards éloquents.

Mais que serait le synapse Max, sympatoche mais sans plus, en l'absence l'être inexistant qu'est Vincent ? Car cet ectoplasme se faisant conduire par un autre un autre à travers le sombre royaume des anges a finalement une consistance, il est l'illumination qui révèle tant à Max qu'aux anges spectateurs la vraie nature de leur Cité. Ses habitants ne sont pas de vulgaires signaux électriques circulant au sein d'un cerveau géant. Ils sont loups, tous, et s'entre-dévorent. Qu'ils portent un insigne ou des tatouages, jouent de la trompette ou du saxo, vivent à l'hôpital, dérobent les passants, dansent à en mourir, trafiquent ou préparent des réquisitoires. À pied ou en voiture, ils ne sont pas, en définitive, si différents de leurs cousins quadrupèdes.

Mais quelques loups peuvent s'éveiller à la conscience, et comprendre ce qui se passe ainsi que ce qu'ils deviennent. Que de sang pour ce résultat. Ces loups demeurent cependant, en dépit de leur volonté, prisonniers de Los Angeles, car ils ne peuvent vivre sans elle. Aussi, blessés à mort, s'assoiront-ils dans le métro où des atomes lisses passeront à côté d'eux, sans s'apercevoir... qu'ils ne sont plus. Ils auront cependant délivrés un coûteux message d'espoir, car certaines de leurs victimes auront survécu à leur fin sanglante. Mais s'arracheront-ils à Los Angeles ? Magnifique elle demeure, tout parait y être sans incidence, si... collatéral.
The_Dude
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le 25 mai 2012

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