Dennis Hopper voit rouge et broie du noir

- « Pop quiz, hotshot! Top! Je me suis shooté à l'oxygène chez Lynch, j'ai lancé la carrière de Néo sur les chapeaux de roue, j'ai roulé des mécaniques et de la Harley avec mon pote Fonda, je suis resté paumé dans la jungle pendant des mois, je me suis fait flingué après avoir mis Walken en pétard, et je me suis changé en dinosaure pour affronter un plombier moustachu. Je suis un acteur américain célèbre pour mes incarnations de méchants psychopathes et sadiques. Je suis, je suis...? »
- « Dennis Hopper! »
- « Eh oui, c'est gagné! Vous venez de remporter le DVD « Les Meilleurs Moments de Waterworld », à voir et revoir en famille ! »

On connait tous le regretté Dennis Hopper en tant que comédien, grâce à une prolifique carrière qui s'étale sur plus de 50 ans. Mais cet homme aux multiples facettes a aussi touché à la peinture, à la poésie, à la photo et il est même passé derrière la caméra plusieurs fois. Avec « Easy Rider », bien sûr, film culte et symbole de l'Amérique hippie des années 60. Moins bien connu, par contre – mais tout aussi controversé – on trouve « Colors » de 1988.
Aux premiers abords, le film apparaît comme un polar d'action classique comme le cinéma américain les affectionne. Deux flics qui n'ont rien en commun sont obligés de faire équipe. L'un est un vieux briscard grincheux qui connait la musique. L'autre, un jeune loup, dur à cuire, propre sur lui et débordant d'énergie, qui crève d'envie de faire ses preuves et de coffrer du caïd. Mais le cinéaste ne met pas longtemps à affirmer sa patte. « Colors » se distingue rapidement d'autres polars plus conventionnels par un ton grave et une atmosphère étouffante. Au lieu d'aligner courses-poursuite et fusillades explosives, Hopper se concentre sur le quotidien banal et morbide des deux agents dans leurs enquêtes de routine. Son approche méthodiques des scènes de fouille et l'aspect réaliste des affrontements armés renvoient d'ailleurs davantage au « French Connection » de Friedkin, qu'aux aventures un brin loufoques du duo Glover/Gibson des « Arme Fatale ».

Los Angeles montre ici ses vraies... couleurs. Pour le réalisateur, la Cité des Anges est un agglomérat de ruelles sales et de bicoques délabrées. Un enfer quotidien, où l'on vit dans la peur de prendre une balle perdue, bien loin du glamour et des villas de luxe dont Hollywood en fait trop souvent le portrait. Mais « Colors » ne sombre pas non plus dans l'apologie des forces de l'ordre, en montrant les gentils policiers protégeant la veuve et l'orphelin des méchants dealers de drogue. Bien au contraire, le film prend le temps d'exposer la vie déprimante des habitants du ghetto. On comprend alors que vendre de la drogue et intégrer un gang, demeure bien souvent le seul moyen pour les jeunes de gagner le respect de leur communauté. Et ils affirment sans regret qu'ils sont prêts à mourir pour leur quartier - « Este es mi barrio, ese ». La chanson d'ouverture (« One Time, One Night » de Los Lobos) donne clairement le ton du film: L.A. est une ville morbide et triste, où plane l'odeur de la mort, et qui détruit les rêves des innocents.

On retrouve également ce respect d'authenticité dans le jeu intense des comédiens. Si le casting est en tout point exemplaire, impossible de ne pas admirer le talent des têtes d'affiche. Dennis Hopper réunit ici deux monstres sacrés du cinéma, Robert Duvall et Sean Penn, qui électrisent la caméra et n'ont aucun mal à affirmer leur présence, dans leur rôle ambigu de défenseurs de l'autorité, à la fois confiants en leurs capacités, mais impuissants face à la sordide réalité.

« Colors » est bien plus que le simple buddy cop movie promis par son scénario. Le film surprend autant par les embranchements de la narration, que par la maturité de son propos. Duvall et Penn dévorent l'image, et Hopper filme cette guerre des gangs sans artifice, sous le soleil brûlant de L.A., avec la froideur d'une lame de couteau.
Nazgulantong
7
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le 10 déc. 2014

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Nazgulantong

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