Entre 1956 et 1960, Budd Boetticher réalisa sept westerns avec Randolph Scott pour acteur principal. *Comanche station* est leur ultime collaboration.
Boetticher insiste dès la séquence d'ouverture sur la splendeur du paysage. Le film a été tourné dans la vallée de l'Owens, en Californie du Sud. On reconnaît les formations rocheuses typiques des *Alabama Hills*, situées sur le versant est de la Sierra Nevada, avec ces énormes pierres aux formes arrondies, très érodées, et qui donnent aux premiers plans de *Comanche station* un relief impressionnant. Ce film, pourtant très court (1 h 10), prend le temps de nous montrer les paysages grandioses, nous fait profiter d'un long trajet à cheval et, grâce à quelques ellipses, nous présente l'étonnante diversité de la topographie. Montagnes enneigées, terres arides, rivière, plaines verdoyantes... La mise en scène de Boetticher, minimaliste et épurée, témoigne d'une grande maîtrise de l'espace, sublimée par le Cinémascope.
Le scénario de Burt Kennedy (qui a aussi écrit pour Boetticher *Sept hommes à abattre*, *L'Homme de l'Arizona* et *La Chevauchée de la vengeance*), économe en dialogues, va droit à l'essentiel. Il peut se résumer en quelques lignes. Cody, chasseur de primes, négocie avec des indiens la liberté d'une jeune captive. Il l'échange « contre 5 dollars de pacotilles et une Winchester » et lui propose de la raccompagner chez elle, à Lordsburg. Mais voilà qu'arrivés à Comanche station, ils croisent la route d'une vieille connaissance de Cody, l'ancien soldat Lane, renvoyé de l'armée pour sa tendance à massacrer des indiens innocents, et désormais chef d'un trio de hors-la-loi qu'il forme avec Franck et Dobie. Les trois bandits apprennent à Mrs Lowe qu'elle est recherchée dans toute la région et que son mari a promis 5000 dollars à celui qui la ramènerait au bercail. Lane et ses acolytes prévoient, dès que le danger d'une attaque indienne sera écarté, de liquider Cody et Mrs Lowe afin de toucher la prime, qui sera versée même si la jeune femme n'a pu être sauvée. Toute la troupe fait alors route vers Lordsburg, dans une union méfiante, pour échapper aux indiens. *Commanche station* développe intelligemment, par l'étude des relations fluctuantes entre les membres du groupe constitué malgré lui, un propos sur le déterminisme et l'impossibilité pour les hommes d'échapper à leur condition. Le western, ici, s'identifie à la tragédie. Dobie essaiera, mais en vain, de renoncer à son statut de hors-la-loi. Lane sera incapable, même pris au piège, de renoncer au magot. Le règlement de compte final, dont Cody et son rival discutent à plusieurs reprises, apparaît comme inéluctable.
La dimension épique consiste ici à célébrer non pas une nation ou des hauts faits, bien que les scènes de fusillade soient très réussies, mais un héros torturé. C'est l'obstination de Cody dans la poursuite d'une quête impossible, vouée à l'échec, qui le rend grand et héroïque. Cet homme qui, dix ans après la disparition de sa femme, erre par amour au milieu des rochers pour tenter de la retrouver a quelque chose de sublime. Randolph Scott, « grand visage de pierre », impérial et impassible incarne à merveille l'archétype du héros solitaire, moralement irréprochable et secrètement tourmenté. Mais tourmenté ne veut pas dire plaintif. Car le drame qu'il a vécu, l'enlèvement de sa femme par des indiens, Cody ne le raconte pas lui-même à Mrs Lowe. Elle l'apprend par l'un des hommes de main de Lane. Le chasseur de primes ne laisse dans un premier temps rien paraître de sa fragilité, masquée par une virilité incontestable. Lors de l'une des meilleures scènes du film, qui appuie sa dimension tragique, Cody vient trouver Lane et Dobie. Sous la forme d'une brève histoire, il leur fait comprendre qu'il sait depuis le début qu'ils complotent et leur dévoile ce qui se passera s'ils ont l'idée de mettre leur plan à exécution : il les enterrera tous les deux.
L'impassibilité de Randolph Scott, sa présence puissante et intense d'homme mûr ainsi que le repli psychologique et la solitude de son personnage rendent d'autant plus émouvante la confession que Cody finit par faire à Mrs Lowe : « Vous êtes la seule personne qui m'ait permis d'oublier, même si ce n'est qu'un instant ». Le dernier plan (inversion du premier) où Cody disparaît, seul à jamais, derrière les monumentales roches des *Alabama hills*, est bouleversant. Toute la force du héros westernien, personnage mythique inexorablement solitaire et entièrement tourné vers sa quête, se trouve là, éclatante et magnifique.
MonsieurPoiron
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le 5 nov. 2020

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MonsieurPoiron

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