Autant vous prévenir tout de suite, si vous cherchez un film de détente après une semaine particulièrement difficile, n'allez surtout pas voir ce film. Companeros est un film dur, qui montre ce que peuvent subir des opposants dans un régime dictatorial. Ici il est question de trois hommes enfermés par le régime uruguayen dans les années 70, histoire vraie donc.
L'intérêt du film n'est pas tellement de montrer des faits réels, mais plutôt leur traitement par le cinéma. Intelligemment, le film commence par le moment où les trois opposants sont mis en prison. Les images sont alors sans dialogue et dans un premier temps, le pouvoir de suggestion des images fait l'essentiel du travail, en montrant le lieu, sombre avec des parois grillagées et en faisant pivoter la caméra pour montrer que les trois hommes sont acculés. Il y a aussi le bruit, des coups indéniablement.
Autre intérêt du film, il montre les moyens utilisés par les militaires qui s'occupent des prisonniers. L'objectif est de les faire craquer mentalement. Les moyens ne sont pas si originaux que cela, mais la façon dont le film les présente est originale. En particulier, le montage et la bande son permettent de faire sentir à quelle pression les prisonniers sont soumis. Il y a également l'isolement marqué par le nombre de jours d'enfermement et l'impossibilité de communiquer avec qui que ce soit. Enfin et surtout, on constate un effet inattendu décrit par un des prisonniers qui dit qu'on l'oblige à penser ! D'habitude, dans ce genre de cas, tous les moyens sont mis en oeuvre au contraire pour l'empêcher de penser. Je pense donc qu'ici, on l'oblige à penser mais dans une direction bien précise. L'objectif est comme toujours dans un tel cas, de lui retirer la possibilité de penser par lui-même. Les spectateurs se feront leur idée sur les moyens utilisés.
Très surprenant aussi, dans un contexte aussi dur, le film réussit à proposer des moments où le tension se relache, au point que les spectateurs peuvent rire parfois ou au moins sourire. Quelques scènes caractéristiques quand un détenu fait des remarques montrant qu'il a entendu des geoliers parler entre eux, ce qui lui permet d'avoir des informations personnelles qu'il ne devrait évidemment pas avoir. Mais on ne peut pas demander à un geolier qui s'ennuie lui aussi à longueur de journée, de discuter avec ses copains, de ce qui occupe son esprit. Et qu'est-ce qui occupe, l'esprit d'un homme sinon ses affaires de coeur ? On assiste alors à des moments très inattendus où un prisonnier donne des conseils à son geolier. Trop bête, le geolier ne sent rien venir, mais pour le prisonnier c'est un moyen de montrer qu'il peut exercer une certaine emprise sur celui qui le détient, ce qui a un effet jubilatoire pour les personnes dans la salle.
A mon avis, le vrai défaut dans ce film où le casting est irréprochable et la mise en scène de qualité avec une véritable recherche dans les effets destinés à faire ressentir la difficile conditions des prisonniers aux spectateurs, c'est que le régime finalement s'empêtre un peu dans les raisons de détentions. Une détention qui s'éternise, alors que le plus simple aurait été de liquider discrètement ces opposants au régime. Dans le même ordre d'idée, on les met dans des conditions où leur fait croire à une exécution, mais sans passer à l'acte. Pour les prisonniers, c'est un signe qu'ils ne sont pas si menacés que cela et c'est donc un moyen de se dire que oui, il faut tenir, car cela ne peut pas durer éternellement.
Sinon, le film alterne entre scènes de prison, moments façon thriller, confrontation des prisonniers avec leurs bourreaux mais aussi leur famille et un médecin. Et surtout donc, il insiste sur les effets psychologiques de l'enfermement et des moyens mis en oeuvre pour déstabiliser les prisonniers. Le plus difficile à faire sentir, c'est quand même le temps qui passe : indiquer le nombre de jours OK, mais le film fait 2 heures et quelques. cela reste du cinéma, mais du bon.

Zoom
8
Écrit par

Créée

le 3 avr. 2019

Critique lue 1.2K fois

3 j'aime

1 commentaire

Zoom

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

3
1

D'autres avis sur Compañeros

Compañeros
Cinephile-doux
7

Une nuit de 12 ans

Sale temps pour les pêcheurs, Mr. Kaplan : en deux films, le réalisateur uruguayen Alvaro Brechner s'est imposé comme un cinéaste majeur d'Amérique latine. Son troisième long-métrage, Compañeros,...

le 4 nov. 2018

7 j'aime

Compañeros
ffred
8

Critique de Compañeros par ffred

Petit à petit toutes les dictatures militaires d'Amérique du sud vont avoir leur film. Cette fois c'est au tour de l'Uruguay. Comme nous l'annonce l'affiche, voilà un film puissant. Tous les codes du...

le 28 mars 2019

6 j'aime

1

Compañeros
Budokick
8

Plongée en enfer

Outre l'aspect historique et réaliste du film, qui sont parmi les grandes forces de ce long métrage, la puissance émotionnelle mise en œuvre est le mât qui tient le reste. Que ce soit du côté de la...

le 30 août 2019

3 j'aime

Du même critique

Premier Contact
Zoom
8

Communiquer avec un heptapode

Si le réalisateur canadien Denis Villeneuve alterne le bon et le moins bon, il conserve une telle intelligence qu'il reste à suivre quoi qu'il arrive. Il adapte ici une nouvelle de Ted Chiang dont je...

Par

le 21 déc. 2016

8 j'aime

2

La Région sauvage
Zoom
8

Retour aux sources

Le retour aux sources ici, c'est le retour vers les forces naturelles, en particulier le désir. Qu'est-ce qui déclenche le désir chez une femme ou un homme ? Le film s'attache à montrer qu'il peut y...

Par

le 25 juil. 2017

7 j'aime

3

In the Mood for Love
Zoom
10

Déchirant

Si on ne devait retenir qu'une chose de ce film, il faudrait choisir entre : - La mise en scène de Wong Kar-Wai tellement proche de la perfection - La lenteur du film qui permet de profiter des...

Par

le 5 juil. 2016

7 j'aime

2