Article original sur LeMagduciné


Au regard des manifestations qui sévissent en France, des affaires d’Etat, des allusions complotistes qui pleuvent et lorsqu’on voit le fossé qui se creuse entre les différentes couches sociales de notre époque, on se dit que Cosmopolis de David Cronenberg, qui n’est autre que l’adaptation du roman éponyme de Don Delillo, est une douce mais inéluctable prémonition d’un chaos économique vertigineux.


Eric Packer, jeune golden boy de la finance, semble déconnecté de la situation de la société qui l’entoure, portant sur son visage et sa coupe gominée, l’incrédulité d’une élite dysfonctionnelle. Pourtant, le terme « entourer » est une bien forte et exagérée définition de son rapport à ses congénères. Son seul environnement de vie, une limousine, qui est une bulle d’égo cadenassée et fermée sur elle même, un enclos monde où le jeu d’échecs des finances se joue en un claquement de doigts. Une sorte de havre de paix pour traders déshumanisés qui sont aux premières loges de la descente aux enfers de l’humanité.


Très verbeux, à la logorrhée parfois imbuvable, le matériel de base de Don DeLillo est, sur le papier, une adaptation aux allures de mission impossible. Mais c’est sans compter sur la maestria de David Cronenberg et le charisme énigmatique de Robert Pattinson. Cosmopolis est un film d’une maîtrise visuelle hypnotique et Cronenberg en fait une œuvre presque claustrophobe, étouffée par l’entendue infinie de ces dialogues au symbolisme surréaliste engagés dans des situations à l’absurdité burlesque. A l’image de Videodrome et Crash, il dissèque comme personne les nouvelles mœurs du capitalisme et le reflet des nouvelles pulsions modernes.


Mais cette fois-ci, le corps ne s’imbrique pas avec la matière mais c’est l’esprit, la manière de dialoguer avec autrui, qui devient une mosaïque instrumentalisant la chute d’un système : que font les limousines la nuit ? nous demandera Eric Packer. Cosmopolis est un film sur l’immensité, sur le trou noir d’un effondrement économique, avec un jeu de miroir fascinant où le réalisateur met sa mise en scène au diapason de toute cette excentricité verbeuse, confronte son audace esthétique au jusqu’au-boutisme littéraire de Don deLillo, et porte la lumière sur un acteur, Robert Pattinson, au charisme insoupçonné dans ce rôle de jeune golden boy autiste avec comme seule envie, celle de se faire couper les cheveux alors qu’il sera sans doute la victime d’un assassinat. Quasiment tout le film se déroule dans cette limousine sans presque aucune discontinuité où tout est vu à travers les vitres teintées de cette maison sur roue, comme endroit fortifiant le monde qui nous entoure. Les plans serrés, les travellings aux mouvements légers et le montage labyrinthique sont d’une fluidité impressionnante. Visuellement, Cronenberg réalise un tour de force oppressant, laissant son film avancer au gré du vent avec ce rythme lent et capte le souffle silencieux indescriptible qui se dégage de cette limousine. La limousine est spacieuse mais assez petite pour nous asphyxier, cet endroit confiné est à l’origine des diatribes interminables de ses personnages, le silence presque caverneux contre-balance le brouhaha surgissant du monde extérieur, la violence physique du monde dans lequel on vit se superpose à la violence économique dans lequel vit notre golden boy.


Le capitalisme s’effondre, chaque chose a un prix et prône une valeur mathématique, où la société se désagrège, les informations se multiplient dans un chaos qui végète dans une chute vertigineuse, les humains ne communiquent que par le biais des chiffres. L’auto destruction de notre mode de vie est notre seule solution. Ces mots trouvent écho dans les entrailles de cette limousine, cette diarrhée verbale, hautaine et symbolique ne pourra s’échapper de ce bloc opaque qu’est cette voiture à l’immensité perpétuelle. Derrière ces réflexions philosophiques Cosmopolis dissimule une ironie, une drôlerie burlesque comme durant cette séance de touché rectal ou lors des dialogues sourds et amoureux entre Elise et Eric.


Ce dernier est seul mais toujours accompagné, sa vie sentimentale part en lambeau alors qu’il est marié à la belle Elise, il est froid devant la misère humaine mais est en quête de sensation encore plus forte que celle que lui apporte le monde des affaires, comme la mort ou le sexe. A l’image de cette longue confrontation finale, la manipulation des mots fait fureur, la déshumanisation est la plus totale, et la mort ne tient qu’à un fil. Sous ses airs abrupts et presque impénétrables, Cosmopolis se dévoile petit à petit pour laisser apparaître un grand film. Le film de David Cronenberg, est avec l’œuvre de David Fincher, The Social Network, l’un des plus grands films matérialisant les maux de notre époque.

Velvetman
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le 17 févr. 2019

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