Si il y a un film qui aura fait couler beaucoup d'encre dans la carrière de David Cronenberg, c'est sans nul doute ce Crash, adaptation de Ballard, qui a profondément divisé la critique, puis les spectateurs, depuis sa projection cannoise. Et sa réputation sulfureuse est sans doute méritée tant ce film semble l'occasion pour le canadien de pousser ses obsessions à leur paroxysme dans un déferlement violent, morbide et sexuel.

Crash est une œuvre profondément lucide sur l'évolution de notre société de consommation, qui, obsédée par la quête d'une hypothétique satisfaction qui se révèle inatteignable, plonge les individus dans une forme de folie aboutissant à des pulsions auto-destructrice. Les personnages sont obsédés par la jouissance (la question « as-tu joui ? » revenant sans cesse dans le film tandis que la question du plaisir n'intervient jamais là où on sait, depuis Sade, que la jouissance n'est en aucun cas une affaire de plaisir mais d'obligation) et la performance, soit les signes d'une société où les rapports humains deviennent des rapports de consommation, où l'autre devient un produit de consommation courante, et où le corps se divise de la personnalité de celui qui l'habite.

Sans tomber dans la psychologie de comptoir, la voiture est tout de même couramment considéré comme un symbole phallique et dont la possession serait une marque de virilité. Ainsi, son utilisation dans Crash n'est pas anodine. On y retrouve la même obsession de puissance et de performance. Le corps humain devient une machine, une voiture, dont les cicatrices deviennent l'égal d'un tôle froissée. Mais au delà de la recherche de cette performance, Cronenberg en montre tout le côté morbide, révélant ainsi la folie d'une époque fascinée par sa propre autodestruction. Le corps étant réifié et son propriétaire en étant dépossédé, sa mutilation, puis sa destruction sont le seul moyen de se le réapproprier. C'est quelque chose que l'on retrouve notamment chez les personnes dont le corps a été maltraité : victimes de viols, maltraitance,... chez qui on observe par la suite des comportements extrêmes (prostitutions, pornographie,...) comme pour reprendre le contrôle sur ce corps sur lequel d'autres se sont arrogés des droits. Cronenberg n'apporte pas de réponse, pas d'échappatoire à cette grande course droit dans le mur et atteint une forme d'apogée dans ses recherches thématiques entamées dès son début de carrière. Son film reste, près de vingt ans après sa sortie, d'une étonnante et effrayante modernité, une fable morbide sur un monde qui en réveillant les plus bas instincts des individus les pousse vers leur propre destruction.
ValM
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le 5 août 2014

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