Si l'on avait encore des doutes, l'affaire Polanski prouve bien que l'espèce humaine est d'une lâcheté sans limite. Il suffit de voir la note attribuée sur ce site pour s'en rendre compte. Pas assez satisfait de voir la Justice (à qui incombe de condamner ou non la personne en question, rappelons-le) faire son boulot, certains ici (pour ne pas dire presque tous) s'acharnent, avec un bel et primitif instinct grégaire de type Panurge (lire la psychologie des foules de Lebon ne ferait pas de mal à certains), sur le travail (qui, cela semble évident, devrait être séparé de la vie personnelle) du cinéaste qui a signé certaines des plus belles pages du cinéma et réussit avec d'après une histoire vraie non pas un mauvais film, mais un film avec quelques ratés, quelques faiblesses desquelles on peut aisément s'accommoder pour jouir d'autres aspects plutôt maîtrisés.
Ce qui gêne ici surtout, d'après nous, c'est dans le personnage de Delphine, la niaiserie, l'innocence, la crédulité sans bornes seyant assez peu au personnage de l'écrivain qui représente généralement un être réfléchissant, s'interrogeant sur le monde, apparaissant donc moins susceptible de telles qualités que d'autres. En effet, celle-ci a beau être perdue, relativement isolée et faible mentalement, sa confiance aveugle en L. semble invraisemblable. S'il s'était agi d'une gamine, encore, … mais là, ça ne prend pas. Ensuite, il est vrai que Polanski utilise certaines images stéréotypées, faciles à comprendre, comme le symbolisme des portes/volets à fermer, de la trappe/piège ou du jeu du chat et de la souris, et reprend des topoï littéraires usés jusqu'à la corde comme le syndrome de la page blanche (pris du roman de Vignan), mais cela demeure bien moins gênant que le vide de certaines grandes productions internationales obtenant des millions d'entrées et des centaines de «j'aime» sur ce site. Enfin, même si la nouvelle vague le pratiquait souvent (plus Truffaut ou Godard que Rohmer et Varda bien sûr) et semblait à l'époque ne poser aucun problème à nombre de cinéphiles, la diction genre récitation de textes littéraires nous a toujours perturbé et ici, surtout avec E. Green, on est parfois plus proche de la lecture des dialogues que dans le jeu à proprement parler.
Néanmoins, il demeure dans ce vénéneux breuvage quelques gouttes du génie indéniable de Polanski, certes à une dose moins élevée que dans le récent Ghost Writer auquel nous fait inévitablement penser ce film, ou encore dans Répulsion, Le bal des Vampires ou Rosemary's Baby par le côtoiement de la folie, de la frontière entre le réel et le rêve, du fantastique, mais suffisamment pour nous faire tomber dans le piège. La plongée vertigineuse, à laquelle on assiste à une distance raisonnable, dans l'intériorité tourmentée de Delphine est captivante, dangereusement séduisante, follement perverse. Le personnage d'Eva Green, dont on devine bien sûr les intentions dès le début, comme dans un polar où l'on commence par montrer le crime et son auteur, n'est pas moins machiavélique que dérangé, et l'on suit la lente élaboration de son plan avec autant d'avide curiosité qu'elle de froid plaisir. Puis, le montage est parfait, tout comme l'équilibrage des forces entre les deux femmes retrouvé grâce aux retournements de situation dans la maison de campagne.
Au total, un film plaisant. D'un grand auteur. 6,5/10.