Dans les années 30, la jeune Suzu vit paisiblement avec sa famille à Eba, ville balnéaire de Hiroshima. Elle est naïve, drôle, maladroite et passionnée par le dessin. A l'âge de 18 ans en 1944, elle part pour Kure, grand port militaire à plusieurs kilomètres, pour épouser un jeune homme. Elle va bien vite se confronter à la guerre qui fait rage et ses atrocités.
Contrairement à leurs émissaires occidentaux, le cinéma d'animation japonais est plus enclin à offrir des drames réalistes au spectateur. On peut attribuer cela à une plus grande ouverture culturelle qui ne considère pas les dessins animés comme le seul apanage des enfants. Il leur arrive régulièrement de piocher dans l'histoire de leur pays à l'instar de films comme Le Vent se lève de Miyazaki ou Miss Hokusai de Keiichi Hara. Ici, le réalisateur Sunao Katabuchi s'attaque à un des grands traumatismes japonais du XXème siècle : la bombe atomique américaine sur Hiroshima. Pour se faire, il adapte un manga de Fumiyo Kono. Mais comment traiter aujourd'hui de façon originale d'un fait historique connu de tous ?
C'est en le confrontant à la réalité du Japon de cette époque que le film réussit à tirer son épingle du jeu. En nous faisant partager le quotidien et les traditions de l'ingénue Suzu et de son entourage, le réalisateur nous plonge dans une partie du monde où la guerre n'est qu'un lointain écho, presque une rumeur. On sait qu'on y envoie des soldats et que certains ne reviennent pas. Mais contrairement à l'Europe dont les civils vivent ce conflit au jour le jour, le Japon semble toujours vivre dans son rythme du début du XXème siècle. Le pays est en mouvement, mais c'est comme si ses habitants ne pouvaient pas le voir. Ce n'est qu'au début des années 1945 marqué par de nombreux bombardements dans la région que « ce recoin du monde » découvre ce qu'est vraiment la guerre jusqu'à ce terrible 6 Août 1945 où la bulle est définitivement percée. En lâchant la bombe atomique, les États-Unis mettent fin à la guerre mais mettent aussi fin à une certaine idée du Japon.
Le film marche sur un contraste constant entre une certaine lenteur dans la vie des personnages et le temps qui s'écoule jusqu'à ce moment qu'on sait inexorable. Les années défilent en haut de l'image et le spectateur sait que ce calme est précaire et va se finir dans l'horreur. Les premiers signes sont nombreux mais n'inquiètent pas les personnages comme dans cette scène ou Suzu dessine innocemment les navires de guerre au large et qu'elle est accusée par l'armée d'espionnage. Les autres membres de la famille rient de cette méprise. Nous savons que le danger n'est pourtant pas loin.
Dans un recoin du monde manque peut être un peu de densité dans son propos. L'ensemble est efficace mais reste souvent à la surface des choses. On les effleure pour éviter le mélo mais il aurait été intéressant de pousser davantage dans l'émotion pour imprimer dans la mémoire du spectateur le message. Cependant, il reste un film esthétiquement sublime et qui fait preuve d'une finesse d'écriture qu'on ne peut que saluer. Décidément, le cinéma d'animation japonais ne cessera de nous émerveiller.
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