Dersou Ouzala, c'est d'abord me semble-t-il la magnificence de la nature rendue à la perfection. J'ai eu l'immense chance de le voir sur grand écran, et j'ai bien peur que la beauté sauvage de la taïga ou la désolation du lac gelé ne perdent un peu de leur superbe si elles passent à travers une petite lucarne. Le vent, le feu et l'eau ; l'amba, esprit de la taïga, sont eux aussi vivants, des "hommes" dirait Dersou, voire plus importants que les humains...
C'est aussi Dersou bien sûr, chasseur émérite, Golde naïf, drogué à la taïga. Arseniev, topographe sans préjugés. Et leur amitié, vraie, unique, magnifique, émouvante. Mais aussi Olentiev, la Russie incarnée dans une voix à faire trembler les murs, et tous les autres... Il faut saluer la grande qualité à la fois du jeu des acteurs et du scénario, qui rendent chaque réplique, chaque regard, chaque geste, vrai, évident. C'était la condition pour que cette amitié nous touche, le résultat est là.
Mais c'est aussi, pour ceux que ça intéresse, de la géopolitique et de l'histoire, au delà de cette étrange idée qu'a eu Kurosawa d'aller soigner son suicide chez les Bolchéviques en plein milieu de la guerre froide. L'histoire prend en effet place dans cette glorieuse odyssée transsibérienne de l'Empire Russe, et on en voit des manifestations tout au long du film. La région qu'Arseniev explore, l'Oussouri, est en effet située entre Khabarovsk et Vladivostok, bien plus proche de Pékin et Tokyo que de Moscou ! L'expansion russe est tangible dans le film : la deuxième expédition a plus de moyens que la première, on voit Khabarovsk se construire, et puis cette colonie russe à l'endroit de la tombe de Dersou... Les chinois, eux aussi, sont bien présents dans cette contrée aux frontières encore hypothétiques.
Et le maître profite de ce cadre pour nous livrer, également, un grandiose film d'aventure. Comment oublier le crépuscule sur le lac gelé, la rencontre avec le tigre, le sauvetage de Dersou dans la rivière... Le "far-east" russe n'est pas si loin du far-west américain !
Un mot peut-être enfin sur la maîtrise de Kurosawa, plutôt époustouflante quand on voit la longueur et la qualité de mise en scène de ses plans, et qu'on sait qu'il ne prenait souvent qu'une seule prise... Pour un tournage en pleine nature, dans des conditions sibériennes ! En fait, on va pas s'étaler, c'est juste parfait, c'est cette maîtrise qui fait de ce film le chef d’œuvre qu'il est.
Voilà, désormais, je ne dirai plus beauté, mais à la place, Dersou Ouzala.