Désobéissance par Cinémascarade Baroque

Avant d’être un drame sentimental, le film est avant tout un portrait de femme. Ronit est indépendante, émancipée et affirmant sa personnalité artistique, Esti est la femme rangée faisant son devoir conjugal. Le film part sur des stéréotypes mais qui cachent une réelle complexité. Quelque soit la voie choisie, il n’y pas de bonheur car aucune ne s’affirme réellement. Le retour de Ronit est symptomatique d’un désir de réponse, de pardon et d’amour envers sa famille. Avec une belle interprétation, Rachel Weisz et Rachel McAdams se livrent à un jeu d’échec face à une morale religieuse qui dirige les individus. « Désobéissance » ne sombre pas dans la critique stérile de la foi ou des dogmes, encore une fois, il décrit avec finesse et pertinence les enjeux moraux entre la part instinctive et la part rationnel de l’Homme. La conscience doit-elle être maîtrisée ou doit-on être libre jusqu’au bout sans tenir compte de son environnement ?


« Nous sommes libres ». Une phrase qui trouve de l’ambiguïté avec « Désobéissance ». Selon la conduite religieuse, être un homme est à la fois une bénédiction et une malédiction. Ce tiraillement entre le vouloir et le paraître irrigue jusqu’à l’esthétique du film. Nous sommes plongés dans un hiver brumeux, grisâtre et laissant peu de place à la lumière vive. Tout semble plongé dans un espace confiné dans lequel les choses ont été abîmées avec le temps. La maison du père est hautement symbolique dans ce souci de montrer une époque révolue, qui doit laisser sa place au changement pour éviter que la pensée stérile n’emporte tout. Ce n’est pas pour rien que le premier baiser fougueux entre les deux femmes se fassent dans cet endroit. Le film économise ses effets pour mieux impacter sur le caractère érotique de leur comportement.


Alors que le film pourrait se montrer prévisible dans sa dernière partie, il opère un virage pertinent et sensible sur le personnage de Dovid. Finalement, l’aspect tragique de l’histoire se retrouve dans sa situation. Un homme tiraillé entre son héritage, ses ambitions et sa posture de chef de famille. Dans une scène cruelle et poignante, le danger de la soi-disante perdition de l’Homme devient un cri de révolte, de révisionnisme et surtout d’amour. Quand on aime de tout son cœur quelqu’un, il faut savoir parfois le laisser partir. C’est la plus belle des tolérances dans un moment qui déchire tout son être. Jusqu’au bout la narration se fera lente, douce et attentive aux émois des protagonistes. Ce n’est pas le conflit que raconte « Désobéissance » mais bien finalement la recherche de l’apaisement, de l’abolition des frontières morales et sexuelles.


« Désobéissance » transcende son postulat de départ par une écriture soignée et une mise en scène valorisant les zones d’ombre de chacun. Il n’y pas de vrai méchant ou de responsable, juste des êtres irrigués par une éducation qui les empêche de voir d’autres horizons. Cela demande du temps d’enrayer une mécanique bien mise en place. « Vous êtes libres » s’exclame Dovid. Lui aussi mais pareil, sa révolte intime mettra du temps à éclore suite aux évènements. L’amour se montre bien plus complexe également dans cette histoire avec ces femmes qui doivent se retrouver elles-mêmes avant de se redonner de nouveau à l’autre. Ronit, Esti et Dovid ne font que commencer leur vie. On navigue de surprise en surprise devant un film appliqué dans le développement de ses thèmes sans pour autant avoir des prétentions.


Voilà un film très touchant, très juste dans sa capacité à dévoiler la douleur, le doute et les passions de ses personnages. L’environnement est également très bien décrit. C’est du cinéma classique mais feutré, subtil et montrant une foule de détails qui alimente une histoire que l’on pensait déjà connaître. Il y a une certaine grâce dans sa tentative d’éviter les lourdeurs, les moments plombants et les scènes explicatives. « Désobéissance » délivre l’espoir et la quête d’amour dans un monde qui semble sommeiller sur sa propre humanité.

AdrienDoussot
8
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le 19 oct. 2020

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