Autant l'avouer, on était surtout venu là pour fêter les retrouvailles entre Keanu Reeves et Winona Ryder, un duo d'acteurs dont le capital sympathie est resté intact au fil des années et collaborant pour la quatrième fois dans un même film depuis le fameux "Dracula" de Francis Ford Coppola. Avec un titre et une affiche aussi sirupeux, nos a priori autour de "Destination Wedding" tablaient au mieux sur une rom-com classique mettant au moins en valeur ses interprètes à défaut de proposer quoi que ce soit de neuf... Et, en réalité, il a suffit de quelques minutes pour comprendre qu'on tenait là, non pas une vulgaire "rom-com" de plus dont l'appellation moderne en traduit le formatage, mais peut-être bien une des plus belles comédies romantiques de ces dernières années, une vraie, rappelant les meilleures heures du genre tout autant par l'intelligence que la force de son écriture et de son approche.


Obligés de se rendre à un mariage d'un proche, Lindsay et Frank vont devoir cohabiter ensemble le temps d'un week-end...


Et c'est tout, pas besoin d'ajouter de données superficielles à ce pitch dont la simplicité est sa principale vertu. Le film de Victor Levin réunit un homme et une femme que tout semble opposer et attend de voir les étincelles que leur rencontre va proposer. Évidemment bien plus malin que cela le laisse supposer, "Destination Wedding" va aborder ce standard de la comédie romantique en faisant naître le romantisme autour de personnages qui ne sont le justement pas du tout. À des kilomètres de tous les stéréotypes habituels, Lindsay et Frank sont avant tout deux monstres narcissiques obnubilés par leurs propres névroses. Pour bien faire ressentir l'importance de leurs égoïsmes respectifs au spectateur, Victor Levin va avoir la plus belle idée de mise en scène qu'il soit en se concentrant uniquement sur ces deux protagonistes. En effet, "Destination Wedding" est une espèce de huis-clos d'un genre nouveau où la question de l'unité de lieu n'est plus primordiale (même si les personnages évoluent en permanence dans la bulle du mariage ceci dit) mais où seul compte le regard de ce couple en devenir. À part eux, aucun autre intervenant de la réception n'aura la moindre réplique au cours du film, l'intégralité de ce "Destination Wedding" nous sera seulement retransmis à travers la vision distanciée et terriblement cynique du duo. Coincé dans ce parti pris tenant plus du théâtre que du cinéma (le film est d'ailleurs découpé en actes aux titres très drôles), le spectateur sera constamment plongé dans l'intimité en construction de ce couple lors des différentes activités absurdes proposés pendant ce type d'événement.
La rencontre chaotique des premiers instants où leurs carapaces d'égocentrisme chercheront à s'entredévorer afin d'avoir le dernier mot laissera vite place à une forme de complicité accompagnée de tirades cruelles et hilarantes face à la mièvrerie ambiante. Anti-romantiques au possible, les personnages laisseront quand même peu à peu tomber leurs boucliers devant la réciprocité inarrêtable de leur attirance, celle-ci étant peut-être inconsciemment exacerbée par l'ambiance du mariage ou provoquée par les mariés eux-mêmes (tout concourt à toujours les réunir). Une fois le seuil amoureux atteint, on aurait d'ailleurs pu craindre que "Destination Wedding" retombe dans les pires travers de la rom-com en affadissant tout ce qui faisait le sel de ses personnages mais, là encore, le film ne dévie pas de sa géniale lancée et mise sur leur statut de véritables handicapés affectifs incapables de gérer la situation autrement que par des détours maladroits alors qu'un boulevard de normalité sentimentale s'offre eux. Ainsi, les doigts d'honneur que Lindsay fera continuellement à Frank seront bien plus démonstratifs de la force de leur relation que les baisers ratés qu'ils échangeront, il en sera de même pour leurs joutes verbales introspectives bien plus proches d'un échange amoureux qu'une désopilante partie de jambes en l'air tournant au n'importe quoi général. Même lorsque le film, à l'instar du décorum de mariage, les enfermera de plus en plus dans les ressorts connus de sa dernière partie, la dynamique inattendue et contagieuse de ce couple parviendra toujours à l'emporter et, pour une fois, le doute sera vraiment de mise sur le fait de savoir si la viabilité de leur relation passera le cap de ce fameux week-end.


"Il ne sert à rien de s'habiller sexy pour montrer quelque chose de sexy.", cette réplique prononcée par le personnage de Keanu Reeves pourrait résumer à elle seule le leitmotiv qui anime le traitement de "Destination Wedding". Ce type de film est tellement tombé dans une formule de stéréotypes répétée à l'infini que l'on en a oublié ce qui faisait son charme au-delà de ses artifices de pacotille. Grâce à ses personnages narcissiques exécrant l'idée de la mièvrerie romantique, Victor Levin dépouille le genre de ses clichés usés et revient à son essence même en se focalisant uniquement sur le charme et la manière dont ce couple pas si improbable va se rapprocher. Avec son écriture incroyablement brillante, son humour noir jubilatoire, sa capacité à toujours nous faire comprendre implicitement la nuée de doutes qui se cache derrière les armures cyniques de son duo et, cerise sur le gâteau, un couple de comédiens visiblement si heureux de se retrouver qu'ils délivrent chacun une de leurs meilleures prestations récentes, "Destination Weeding" se place instantanément comme une pépite du genre que l'on n'avait pas vu venir !
Incontestablement, une vraie belle surprise qui fait de l'anti-romantisme une des choses les plus romantiques qu'il soit...

RedArrow
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le 26 févr. 2019

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RedArrow

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