- Stephen King est à son apogée, la Guerre froide n'est pas terminée, le mur tient toujours. Tchernobyl a fini de répandre la peur du nucléaire dans les esprits, l'opulence règne, le terrorisme n'a pas encore transi l'Occident de peur : les tours sont encore debout. Les esprits féconds rêvent de futur métallique et de voitures volantes. On a peur des monstres qui dorment sous les lits et dans les placards, personne ne pense au chômage, et la décence se bat désormais contre les affres du "sexe & rock'n roll" dont la banalisation va croissante.
Une époque bénie et crainte à la fois.
L'individu, seul face au groupe, reste toujours bafoué.
Il n'est pas bon pour les pensées uniques, façonnées par une expérience de vie et une vision différente, de résider dans une banlieue huppée aux Etats-Unis. L'étranger désireux de créer sera systématiquement moqué, la communauté victime de ses lubies stupides et son puritanisme consommé, adulée.
Donnie Darko est un coup de cœur, et cette critique ne lui rendra certes pas honneur. Il y a tant à dire. Tant à évoquer. C'est une ambiance feutrée, portée par des acteurs sobres et parfaits, qui emporte l'imaginaire dès les premières secondes. Gyllenhaal se transcende et s'oublie dans son personnage. Drew Barrymore trouve une place de choix en professeur désireuse d'ouvrir les esprits et les cœurs et Jena Malone est totalement touchante de fragilité. Quant au fameux Frank, sa voix douce et caressante pourrait tout aussi bien nous influencer nous-même. Ses sirènes sont infiniment plus tendres que la brutalité du monde réel, composé de professeurs imbéciles, de proviseurs butés, de parents dépassés et de psychiatres trop pressants pour comprendre ce qui cloche réellement dans les têtes abîmées.
La descente aux enfers de ce mois d'octobre 88 ressemble à toutes celles que nous pouvons connaître, chaque mois de chaque année, lorsque soudain nous prenons conscience de cette absurdité : qu'est-ce que nous foutons là ? Rien n'a de sens, le futur nous échappe toujours, le passé nous hante et nous encombre. Quant au présent, perpétuellement frustrant, il ne représente pas d'augure bienveillante, jamais. Ne restent que le superficiel, les plaisirs temporaires qui glissent comme sur une vitre, et ne comptent pas, à terme. Pas vraiment.
Dans de telles conditions, n'existe-t-il donc pas d'échappatoire plus évidente que la folie et les délires pour survivre jour après jour ?
Ce teen movie tout en langueurs est une expérience de cinéma dantesque, sur tous les plans. Une bande-sonore dosée et parfaite nous berce perpétuellement et nous entraîne dans le sillage de Donnie Darko et de sa paranoïa poisseuse, mais efficace, et au climax glaçant. Autant vous dire que le déguster tard le soir lumières éteintes et bien entendu en version originale était la meilleure façon d'en apprécier le visionnage.