Douce par Gérard Rocher La Fête de l'Art

La comtesse de Bonafé n'est pas femme commode. En 1887, dans son hôtel particulier parisien, elle règne d'une main de fer agrémentée d'une langue de vipère sur sa famille et son personnel, tous menés"à la baguette". La vieille dame est entourée notamment du comte Engelbert, fils soumis à cette mère "coriace* et de Douce sa petite-fille qui rêve d'un amour impossible avec Fabien Marani, un jeune homme peu scrupuleux faisant office de régisseur. Dans ces murs il y a aussi une ravissante gouvernante, Irène Comtat dont Fabien est très épris et qui, par sa classe et sa beauté, plaît beaucoup au comte qui se prend à rêver d'un éventuel mariage. Douce, elle , soupire seule dans sa chambre. Reste à savoir si l'amour l'emportera sur la rigidité des préjugés et des classes sociales...


Cette histoire reflète parfaitement bien la société de cette fin du 19ème siècle, époque démontrant que la société se partageait en deux classes, d'un côté les riches, de l'autre les pauvres. Au sein de cette belle demeure évolue sans complaisance la comtesse de Bonafé, vieille femme ingrate, dirigiste à l'extrême gratifiant son entourage de ses sarcasmes et de son intransigeance déjà d'un autre âge. Son entourage subit même parfois ses violences verbales. Son fils Engelbert, handicapé par une jambe de bois, n'a pour seul plaisir que celui d'habiter dans un endroit luxueux. Solitaire il est tourmenté et tenaillé par cet amour impossible pour cette bien belle Irène, la gouvernante, lui le handicapé. Celle-ci est une femme émancipée, aimant la vie et tentant de la croquer comme elle peut car la comtesse et le personnel de maison veillent au bonnes mœurs de chacun. Les astuces sont parfois efficaces pour vivre entre autres des amours clandestins avec l'énigmatique Fabien, le régisseur prêt à toutes les folies, à toutes les pressions pour s'éloigner de cette demeure avec Irène.


Et puis il y a l'héroïne de cette histoire, Douce qui vit presque recluse dans l'une des chambres prévues pour les domestiques. La jeune fille est belle du haut de ses 17 ans. C'est l'âge où l'on rêve de sorties et d'amour. Elle rêve du prince charmant, ce Fabien qu'elle trouve si beau au point d'envier Irène. Aucun doute si Irène se fâche avec son soupirant, il y aura peut-être une petite place pour elle dans le cœur de celui-ci. La jeune fille va pouvoir saisir l'occasion pour son premier et seul amour plein de passion et de sincérité. Le cœur du majordome n'est pas aussi pur, loin s'en faut, que celui de Douce mais celle-ci est tellement heureuse de cette vie qui s'ouvre devant elle qu'elle se sent capable de tous les sacrifices pour devenir comme Irène, "une Dame"...


L'atmosphère dans lequel Claude Autant-Lara fait entrer le spectateur est irrespirable car cette vieille comtesse de Bonafé, telle une marionnettiste, manie son entourage comme de vulgaires pantins. A lire le propos de ce film on pense à un mélo tout simple sur fond de grand amour impossible. C'est en partie vrai mais en plus il se dégage de cette œuvre une farouche critique de la bourgeoisie de l'époque exploitant méchamment les plus faibles de leur rang et les pauvres. Le passage où la ***comtesse de Bonafé* interprétée brillamment par Marguerite Robinson entreprend de visiter une famille misérable au moment de Noël est absolument sublime autant par la puissance qu'elle dégage que par la cruauté dans les propos. Odette Joyeux dans ce personnage candide et ô combien touchant de Douce nous offre une fantastique composition en nous faisant partager ses frustrations et en nous entraînant dans sa fuite éperdue vers la liberté. Madeleine Robinson est elle aussi impressionnante en incarnant si bien Irène Comtat, cette grande et belle dame tant enviée par Douce et tellement "courtisée" par ce comte estropié, émouvant à souhait dans sa vie tourmentée dont Jean Debucourt nous brosse un remarquable portrait. Son autre soupirant , le fameux régisseur Fabian Marani. joué par Roger Pigaut, entre fort bien dans la peau de ce curieux personnage aussi irritant qu'irritable, aussi séduisant que détestable.


Ce film de Claude Autant-Lara est pour moi une très belle découverte car il s'en dégage une grande puissance romanesque et ce grâce à une galerie de personnages nous plongeant dans un univers dans lequel les privilèges et la suffisance de certains engendraient la cruauté et parfois même le drame.


Le film en intégralité :
https://www.youtube.com/watch?v=w5VmPWqEvuI

Grard-Rocher
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le 5 sept. 2016

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