Dr Jekyll est un con.

La critique
Le cinéma est né au siècle en même temps que la psychanalyse et cette force sombre appelée inconscient. L'inconscient c'est le récit de l'homme qui travaille dans l'homme, avec ses émotions, son passé, ses croyances enfantines, ses traumas, ses pulsions et son apprentissage de la frustration. C'est ce que semble comprendre la première partie du film quand il nous montre dans une magnifique séquence d'ouverture en vue subjective, le Hyde dans le corps du Dr Jekyll. C'est ce Hyde dans le Jekyll qui fait cours avec la fougue et la joie de la découverte scientifique. C'est cette pulsion de vie en alliance avec son savoir de chirurgien qui envoie promener ses obligations sociales au bénéfice des petites gens, c'est encore elle qui l’envoie secourir une femme au milieu des bas-fonds sans évaluer les risques encourus. L'un dans l'autre semblent concourir à un homme quasi parfait. Hyde tapis dans l'ombre n'est pas le méchant et Jekyll le bon. Ils sont l'un dans l'autre aussi justes que passionnés.
Seulement Dr Jekyll est aimé et aime en retour. Il souhaite se marier hâtivement (on comprend que nos deux tourtereaux ne consomment guère avant l'échéance) et avec autant de ferveur qu'il est rabroué, castré par son futur beau père qui prend un certain plaisir à éprouver son futur beau-fils. C'est de cette incapacité à accepter la frustration que le Dr Jekyll donnera liberté et pouvoir à Mr Hyde. Et c'est avec son avènement que le film se rabougrit, car sans briser le suspense ce Hyde est tout sauf un inconscient ou un refoulé complexe. Il est une sorte de "ça" freudien, d'animal proche du Néandertal doué de jugeote et d'esprit de domination assumé, capable de crier:" Je suis libre." Libre donc de massacrer, esclavagiser qui il souhaite. Cela va donc mal se terminer pour lui et ce Dr Jekyll qui perd tout contrôle.
Curieux processus que ce film qui nous montre les pires élans d'un homme pour dénoncer l'oppression qu'il subit. En dehors de la performance d'acteur, seul deux des tirades qui critique le cynisme de ses contemporains rend ce Mr Hyde intriguant. On est loin de La belle et la bête avec son animal pulsionnel, agressif mais séduisant et sensible, complexe en somme. Tristement, on est quelque part pas si mécontent que Hyde soit calmé à coup de revolver. Il était vraiment méchant.

La gamberge
Les anciens cadres de la société qui faisaient et défaisaient aussi bien les carrières que les couples ont largement périclité en 80 ans. Si les libertés individuelles n'ont pas progressé de concert pour tous et toutes depuis 1931, on peut dire que l'amour romantique et sa corolaire, l'émancipation des individus ont avancé.
Il est donc difficile d’être pleinement pris dans le film par cette diatribe prônant la liberté tant notre modernité semble connaitre de moins en moins de contrainte et de frustration du désir. Car pendant que la lutte continue, l'homme devra encore et toujours maitriser ses pulsions, ses frustrations et prendre garde aux chausse-trappes de ce dorénavant nouveau personnage qu'est l'inconscient. Le pervers d'Uncut Gems est cette nouvelle figure de la lutte avec soi. Dans une société où le désir de chacun est une machine boulimique, qu'il est un héros souverain soutenu par un certain capitalisme. Le mal ne vient pas que de la structure sociale mais bien aussi par celui qui tient les reines depuis le début. Adam Sandler est le nouveau Dr Jekyll, aussi fort que potentiellement égocentrique et donc dangereux pour lui et les siens.