Le plus beau film sur Dracula, malgré une narration maladroite

Dracula fait partie de ces personnages horrifiques qui ne nécessitent plus vraiment l’intérêt du public, force de faire parler de lui ou d’apparaître sous diverses formes (films, livres, séries télévisées, spectacles musicaux…). À l’instar d’une œuvre sur le loup-garou ou bien le monstre de Frankenstein. Mais quand un réalisateur de renommée s’attaque au mythe, d’emblée, la curiosité revient au galop ! Ici, il est question de Francis Ford Coppola, l’homme à qui nous devons les cultissimes Apocalypse Now et la trilogie du Parrain. Analyse !

À partir de la culture populaire, que savons-nous exactement du personnage de Dracula ? Tout simplement qu’il s’agit d’un vampire qui crèche dans un château à l’allure morbide en pleine Transylvanie, et ce en compagnie de trois harpies (ou vampires femelles, je n’ai jamais su comment les qualifier) qui lui servent de femmes… ou de concubines. En somme, juste une image de créature de la nuit, bien loin du roman original de Bram Stoker. Qui dressait le portrait d’un protagoniste certes peu fréquentable (voire à éviter !), mais au combien humain malgré son statut d’immortel et de monstre. Une image que, justement, désire restituer la version de Coppola.

Dès le début du film, on sent que Dracula ne sera pas traité comme le croquemitaine que nous avons en tête. Et pour cause, les premières minutes reviennent sur la genèse de ce qui deviendra le célèbre comte Dracula, à savoir un ancien roi roumain damné après avoir renié l’Église, Dieu lui ayant enlevé sa femme pour une raison que nous ne révélerons pas (ne gâchons pas votre plaisir de spectateur !). Bref, la naissance d’un mythe par amour. Et ce thème, nous le retrouvons à chaque recoin du scénario, permettant d’approfondir comme il se doit le personnage de Dracula comme jamais nous l’avons vu dans un film portant son nom. Le rendant beaucoup plus humain qu’il ne l’est. Nous permettant de nous y attacher alors qu’il peut se montrer infâme.

La seconde chose qui saute aux yeux en voyant cette version, c’est les moyens mis en jeux pour que le film arbore une qualité visuelle resplendissante. Et autant dire que de ce côté-ci, le résultat bluffe à tous les étages ! Bien que certains effets spéciaux « faits à la main » ne cachent plus trop leurs rides (comme ces trains électriques utilisés pour mettre en scène les trajets d’un des personnages), le film est un véritable trésor pour la rétine ! Regorgeant d’effets visuels astucieux (l’ombre de Dracula qui se trouve être indépendante et tout aussi inquiétante que son propriétaire), de décors détaillés qui mettent en scène une époque victorienne plus vraie que nature, des costumes hauts en couleurs, des maquillages maîtrisés… Tout ce qu’il faut pour que ce Dracula 1992 ressemble à un tableau ! Magnifique au point de rester assis pendant des heures à le contempler, à s’y plonger et ne jamais en détacher le regard. Et ce pour 40 millions de dollars, ce qui est encore plus impressionnant. Surtout à l’heure actuelle, où Hollywood dépense sans compter en usant du numérique et sans jamais arrivé à un tel résultat (ou que trop rarement).

Et cela consiste en quoi, me diriez-vous ? À bâtir une ambiance. Et sur ce point, la version de Coppola surpasse toutes celles qui ont été faites sur le personnage, à n’en pas douter ! Vous prenez tous les détails cités dans le paragraphe suivants, et vous obtenez une atmosphère qui ne cesse de changer en fonction des séquences filmées et montées dans le film. Allant d’un cadre ténébreux (l’immense château sous une nuit orageuse, avec la foudre qui frappe) et mystique (la brume étant utilisée comme un élément du décor) à une sorte de rêve éveillé qui se montre aussi hypnotique qu’à film à la Kubrick (scène embellie par la musique envoûtante de Wojciech Kilar). Ce qui explique sans mal l’interdiction aux moins de 16 ans dont bénéficie le film, ce dernier étant tour à tour horrifique (parfois gore) et érotique. Deux qualificatifs qui se marient ici avec brio, ne faisant que renforcer le travail technique effectué sur ce long-métrage.

Et n’oublions pas le casting du film, qui vaut son pesant de cacahuètes ! Qui peut se vanter d’avoir un Gary Oldman (Dracula himself) inspiré comme à son habitude. Une Winona Ryder (Mina Murray) toujours aussi pétillante. Un Anthony Hopkins (Van Helsing) égal à lui-même. Même Keanu Reeves (Jonathan Harker), qui nous avait habitué à des interprétations un peu plus fades, s’en sort ici honorablement.

Rien à redire donc ? Pas tout à fait. Après tous ces éloges, il est temps de pointer le gros défaut du film, qui gâche un peu tout cet excellent travail effectué jusqu’ici : sa narration, qui influence au passage le montage. Malgré sa durée de 2h10, le film semble vouloir à tout prix traiter les nombreux personnages qu’ils présentent. De s’arrêter sur les différentes trames que propose le scénario. But fort louable, mais maladroitement atteint, le script ne faisant que « switcher » sur les protagonistes (un coup Dracula, puis Mina, en passant par Jonathan, Van Helsing et Lucy). Du coup, il est difficile de suivre le film, qui passe rapidement d’un tableau à un autre. De comprendre ce qui se passe sous nos yeux. De reconnaître le personnage qui fait son entrée. Instaurant quelques instants d’ennui, le spectateur pouvant sans mal se détacher du récit. Bien que le scénario soit approfondi, il aurait pu nécessiter une bien meilleure écriture et d’éviter cette fluidité excessive.

Il n’y a pas photo : Francis Ford Coppola, via son talent indiscutable de metteur en scène, nous a livré la plus belle version qui puisse exister sur Dracula. La plus exquise qui soit, aussi bien visuellement que techniquement. Avec un casting d’enfer (sans faire de mauvais jeu de mot, vu le sujet du long-métrage). Dommage néanmoins que la narration n’est pas subie autant d’intérêt que tout le reste, gâchant un peu le plaisir que nous offre pourtant ce film. Un détail, certes, qui montre à quel point critiquer fait chipoter. Mais quand un bon film laisse un sentiment de frustration, autant en faire part.

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