Celestina (Irène Galter), jeune orpheline provinciale arrive à Rome pour gagner sa vie comme domestique. Ses deux frères, eux, ont choisi d’aller tenter leur chance en Australie.
Celestina est recommandée pour une place de domestique dans une famille bourgeoise. Bien entendu, en arrivant à Rome, elle découvre un monde dont elle n’a aucune idée. On la trouve un peu gauche, elle s’égare dans la ville et sa garde-robe lui vaut quelques remarques. L’accueil est rude puisque, d’emblée, elle se retrouve avec un bébé dans les bras, avant de se voir chargée d’aller faire des courses. Elle tombe dans une famille où les cris du bébé sont un révélateur, la femme étant assez capricieuse, trouvant perpétuellement des reproches à faire à Celestina, comme elle en fait à son mari. La coupe est pleine quand Celestina rentre une heure trop tard, après une sortie dominicale où elle est allée danser avec des copines domestiques. Voilà Celestina à la porte malgré la bienveillance du mari.
En allant voir le curé dont dépendent les bonnes sœurs qui lui avaient trouvé sa première place, Celestina obtient un emploi équivalent. Le film montre ainsi Celestina dans trois emplois successifs. Trois milieux différents essentiellement par les caractères, car il s’agit à chaque fois de la petite bourgeoisie, sans doute un milieu qui aimerait impressionner un peu en employant une domestique. Celestina fait suffisamment bonne impression pour éveiller de l’intérêt. Ainsi, les circonstances feront qu’on lui trouve un fiancé et qu’on lui promet en héritage une propriété en Sicile qu’elle pourrait faire fructifier avec son futur mari. Las, ce fiancé ne plait pas à Celestina qui finit par l’éconduire.
L’avenir matériel de Celestina est malgré tout assuré, car les emplois de domestiques ne manquent pas (début des années 50). Reste donc son avenir sentimental. L’histoire de Celestina se construit au rythme de ses rencontres avec le beau Fernando (Gabriele Ferzetti), un homme à femmes, dragueur invétéré, que Celestina remarque immédiatement. Fernando étant plombier, Celestina le retrouve parce qu’elle a fermé un robinet trop énergiquement chez ses employeurs ! Voilà un moyen de le retrouver en cas de nécessité…
Ici scénariste et réalisateur, Antonio Pietrangeli n’est pas un inconnu, puisqu’il a été scénariste pour Rossellini et Visconti. Il sole negli occhi (titre original), son premier film est désormais visible en copie restaurée. C’est un mélodrame dont le scénario n’est pas d’une grande originalité (on pourrait le résumer par la formule « Séduite et abandonnée ») dont le titre laisse songeur au vu des mésaventures subies par Celestina, charmante jeune fille un peu naïve. D’abord rebutée par les manières directes de Fernando, (elle se défend par une gifle), elle ne peut nier son attirance. Elle retient son insistance, ses manières, sa façon de la regarder et de chercher à la revoir. Elle finit par devenir certaine de son amour. Elle ne peut plus vivre sans lui, pas même partir deux mois au bord de la mer avec la famille qui l’emploie. Fernando lui promet qu’il viendra lui apprendre à nager. Mais il en profite pour disparaître. Si le spectateur devine bien dans quelles conditions, Celestina ne renonce pas. Elle sonne chez lui… pour recevoir le choc psychologique de sa vie.
Le film dégage un charme certain parce que le réalisateur bénéficie de l’interprétation irréprochable de ses protagonistes principaux, parce que le scénario réserve de beaux moments d’émotion et aussi parce que Pietrangeli donne suffisamment de caractère aux personnages secondaires pour que le spectateur rentre dans l’histoire. La mise en scène est plutôt neutre, malgré un noir et blanc de qualité (image au format 4/3), bien servi par la restauration. Ce que Pietrangeli montre de Rome n’a rien d’éblouissant, il est possible que ce soit par manque de moyens financiers, car le spectateur attentif remarque le nom d’une barque échouée sur la plage où Celestina et Fernando se promènent : le nom d’une « Major » américaine aux moyens nettement plus importants que la Titanus qui a produit le film. Au chapitre des comparaisons avec le cinéma américain, on peut ajouter que la plomberie inspire Pietrangeli un peu à la façon de Lubitsch (Cluny Brown), avec quelques variantes mais aussi moins de finesse. L’humour est néanmoins présent.
Finalement, Celestina qui est enceinte se verra contrainte d’élever son enfant seule, à l’image d’une de ses amies domestique. La conclusion de ces demoiselles ? Si l’une y est arrivée, l’autre s’en sortira également parce qu’elles se serreront les coudes. A ce compte, Fernando et ses pareils n’ont qu’à continuer à vivre comme ils l’ont toujours fait. Fernando a beau se repentir et reconnaître qu’il a agi à cause de l’argent, il ne pourra jamais réparer le mal qu’il a commis. Qu’il aime effectivement Celestina n’y changera rien.
Enfin, si Celestina est en relation avec les sœurs puis un curé pour obtenir des places dans de « bonnes maisons », son rapport à la religion reste superficiel, puisqu’on ne la voit jamais aller à la messe par exemple, alors qu’elle conserve précieusement une statuette d’ange, qu’elle casse dès le départ de son village. On devine que la protection de cet ange gardien sera toute relative à Rome.