Duel, film de 1971, réalisé par Steven Spielberg

Titre original: Duel (film américain)

résumé: David Mann, un simple employé de bureau sans histoire, prend la route pour se rendre à un rendez-vous de travail. Sur la route, un vieux camion citerne le ralentit, et il décide donc de le doubler. Apparemment mécontent, le conducteur du camion le double à son tour, puis reprend son allure lente. Commençant à perdre patience, David tente de le re-doubler, mais le camion lui bloque la route en zigzagant dangereusement. Commence alors pour David son trajet en voiture le plus éprouvant, car pour lui, conduire ne voudra alors plus dire "se rendre simplement d'un point à un autre", mais "essayer de survivre, pourchassé par cet énorme camion qui manifestement ne veut qu'une chose: sa mort.

critique:
Il est toujours assez amusant et instructif de voir comment les plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma ont débuté dans ce magnifique métier. Et à ce titre, "Duel", premier long métrage de Steven Spielberg, ne déçoit pas; bien au contraire, car à défaut de nous livrer un très bon film, Steven Spielberg y démontrait déjà toute la virtuosité de sa mise en scène, y étalant quelques éléments clefs, quelques ingrédients qui ont fait et font toujours le génie de ses oeuvres. En effet ni le très court délais de tournage (douze jours, sachant qu'à l'origine le contrat en prévoyait dix), ni le faible budget qui lui avait été alloué pour mener à bien cette expérience (375 000 dollars, ce qui peut sembler gros comme ça, mais qui pour un film, et même pour l'époque, est une somme vraiment minime), ni même le fait qu'il s'agissait normalement, à l'origine, d'un projet de téléfilm, n'ont entamé la volonté de Spielberg de vouloir faire de son mieux. Car en effet, si le film souffre clairement de ce manque de temps et d'argent, il est allé puiser dans un maximum de références, prenant ainsi exemple sur ses modèles, et nous livrant tout de même pour film une magnifique métaphore filée du combat de l'Homme contre la machine (et oui, bien avant Matrix et autres films de science-fiction).

Mais avant d'aller plus loin, commençons par le commencement. Et au commencement, comme chacun le sait, il y a le scénario. Et celui de "Duel" devait tenir sur une feuille de papier cigarette (et encore, format mince), ce qui encore une fois, n'a pas empêché Steven Spielberg d'en sortir une oeuvre pour le moins originale, arrivant à faire de cette histoire pour le moins inintéressante -et qui aurait très bien pu tenir en un court-métrage d'à peine une demi-heure- un véritable film à suspens. En effet, la première chose qui passe par la tête du spectateur avant qu'il ne regarde le film, s'il ne connaît que le résumé et la durée (1h25), doit sûrement être de se demander comment tout ce temps est comblé. Et c'est là que le génie de Steven Spielberg entre en jeu. En effet, en utilisant de long plans avec caméra embarquée (système réellement utilisé pour la première fois dans "Bullit", film sortit trois ans plus tôt, et quand on sait ça, la référence de Spielberg est évidente), il arrive à faire peu à peu monter la tension chez le spectateur, qui sachant pertinemment ce qui va finir par arriver, n'a qu'une envie, voir enfin de quelle manière cela va arriver. Car comme vous l'aurez compris, l'intérêt de ce film n'est pas le moins du monde dans son intrigue, mais dans la manière dont elle va être traitée par le réalisateur, et surtout de quelle manière le dénouement va survenir.

Durant tout le film, Steven Spielberg joue avec nos nerfs de toute les façons qui sont à sa disponibilité, commençant tout d'abord par mettre le doute dans l'esprit du spectateur, qui comme David Mann, est un Homme plein de certitudes. En effet, la voiture de David Mann, une Plymouth toute rutilante, est prise en chasse par un énorme camion citerne rouillé et qui semble juste bon pour la casse. Et pourtant, ce camion a plus de vitesse et une meilleure tenue de route que la voiture. Absurde, me direz vous? certes, mais toujours est-il que c'est bel et bien ce qui se passe sous nos yeux. Et avec ces nouvelles données en mains, le spectateur en arrive à se poser de nouvelles questions: "que va-t-il arriver lorsque le radiateur de la Plymouth va finir par lâcher?" (car on sait effectivement depuis le début, qu'il est défectueux, et l'intrigue étant ce qu'elle est, on sait dès lors qu'il va lâcher, et forcément au moment le plus critique). Ce n'est donc pas le spectateur qui pense par lui même, mais Spielberg lui même qui guide son esprit, grâce à cette mise en scène des plus réfléchies, très Hitchcockienne dans la manière dont le suspens monte, peu à peu, avec ces pics de suspens qui surprennent le spectateur.

Et toujours dans le seul but d'énerver le spectateur, de faire monter la tension en lui faisant perdre ses repères, on remarquera que tout du long, l'identité du conducteur fou est gardée cachée, et on ne fait qu'apercevoir par moment son bras, qui fait signe à David Mann de le doubler ... pour ensuite mieux le prendre en chasse. Même dans le scène du restaurant, on apprend ensuite qu'il n'est pas parmi les clients, et donc qu'il ne fait pas partit des gens que David Mann suspecte. En effet, quoi de plus frustrant dans un film d'horreur, que de ne jamais voir le tortionnaire du héros, et de ne jamais connaître son mobile s'il existe? C'est qu'en vérité, le tortionnaire, on le voit. Il est même présent dans presque la moitié des plans. Il s'agit en fait du camion. En effet, de nombreux plans rapprochés de l'avant du camion montrent une collection d'un certain nombre de plaques d'immatriculations, installées au dessus du pare-chocs avant comme autant de trophées de chasse. Le camion, alors transformé en une sorte de chasseur sur roue, un ogre né pour "manger" les voitures défaillantes et imprudentes, représente lui même son conducteur, dans une sorte de synecdoque indiquant l'inhumanité de ce conducteur fou, par opposition à la Plymouth de David Mann, qui n'est qu'un moyen de transport comme un autre, avec ses avantages et ses défauts. Cela est d'ailleurs mis en valeur à la fin du film, car ce n'est pas la Plymouth qui arrive à battre le camion, mais bien David Mann, qui en utilisant son intelligence (qui est le propre de l'Homme), arrive à abattre le camion, Spielberg métaphorisant ainsi la suprématie de l'Homme sur les machines.

Pour un premier long métrage, Steven Spielberg frappait déjà fort. Ce petit téléfilm sans prétention finit par conquérir le festival du film d'Avoriaz et part être repris en salle, et ce malgré de gros défauts non négligeables, lançant la carrière de Steven Spielberg, qui trois ans plus tard, après avoir marqué à jamais la mémoire de tous les conducteurs (comment peut-on désormais ne pas penser à "Duel" lorsqu'on double un camion?) et après un deuxième essai peu concluant ("Sugarland Express", en 1974), confirmera définitivement son talent en marquant à jamais la mémoire de tous les baigneurs avec "Jaws" (1975, titre français « les dents de la mer »).

critique écrite par Tagazok

ma note: 14/20
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7
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le 22 févr. 2015

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