Cette gare du Nord-là n'est pas la même que celle de Nicole Garcia et de Reda Kateb dans le film de Claire Simon. C'est une gare du Nord de personnages éminemment physiques, une bande de jeunes qui n'inspirent pas la sympathie, avec un effet de groupe qui les rend désagréables, inquiétants.

Sauf que. Parmi eux, Marek, jeune ukrainien d'une beauté troublante, pas mignon, mais beau d'une manière fulgurante, un beau regard, un beau sourire, une innocence qu'on a , ou plus exactement que Daniel a envie de voler, de partager tout au moins.
Un rendez-vous est vite pris pour une relation tarifée. L'insistance de Marek à demander l'adresse personnelle de Daniel pour l'y retrouver , l'impuissance patente de ce dernier à lui refuser quoi que ce soit, tout installe un climat de désastre imminent.

En effet, ce rendez-vous ne s'est pas passé comme il fallait. Mais pas comme on s'y était attendu non plus. Une très longue séquence à la limite de l'irréel prend place sur fond d'une house music diégétique et lancinante, et sans trop spoiler, car la scène arrive assez vite dans le film, on découvre le piège tendu par Marek, qui était de débarquer à plusieurs, y compris avec un mineur , pour dépouiller cette victime pas si innocente aux yeux de la loi, si on devait le soupçonner de fricoter avec ledit mineur. Du coup, c'est dans une hébétude totale que Daniel laisse faire les choses, le dépouillement systématique par ces Eastern boys, et même une forme de connivence à un certain stade, à tel point que Boss, le leader de toute cette bande de petite frappe lui dit "nous ne sommes pas tes amis". Une connivence liée semble-t-il au désir qu'il a malgré tout de Marek. se laisser ainsi dépouiller, c'est une manière d'échanger avec lui, de lui faire un don en quelque sorte. Toute la séquence est magnifiquement filmée, le ballet des objets qui rejoignent la camionnette, la danse et la fête organisées par les racailles, tandis que les yeux de Daniel et de Marek mine de rien se cherchent et s'accrochent par dessus la mêlée...

A la suite de cet épisode, Marek revient voir Daniel, ils font l'amour, Daniel paie, et il s'ensuit une belle histoire, très âpre au démarrage, dans laquelle le désir prend toutes les nuances et toutes les intensités. Une tentative d'amour prend forme entre ces deux personnes aussi dissemblables que possible, sur base quand même d'une haute trahison initiale (le piège tendu par Marek). C'est plutôt compliqué, du coup. Néanmoins, on assiste au glissement progressif de l'un et de l'autre, depuis la réserve et la méfiance vers un abandon de plus en plus fort, mais pas forcément synchrone. Leur dépendance mutuelle est très émouvante à suivre. La sécheresse de la mise en scène (lumières, appartement devenu spartiate, musique minimale) souligne encore ce mouvement entre ces deux personnages.

La complexité de la relation fait que les sentiments de l'un et de l'autre bougent assez rapidement. Mais quels qu'ils soient, ils sont sous-tendus très visiblement par l'envie de l'un et de l'autre de faire perdurer un lien, et quelle que soit sa forme, ce qui circule entre eux est de l'amour.

En filigrane de cette histoire inter-personnelle déjà très dense, le film traite également du problème sociétal des sans papiers, du regard que l'on peut poser sur eux, et de celui qu'il pose sur les autres. Sans fard ni faux semblants, Robin Campillo nous montre la méchanceté des Boys, mais aussi leur background. Il ne justifie rien et ne fait que montrer, non pas dans une sorte d'indifférence, mais de lucidité quant à la tentation du manichéisme face à cette problématique des clandestins. La présence de clandestins autres que la "vilaine" bande des pays de l'Est humanise davantage le groupe, et dépasse la cruauté affichée de Boss, -magnifique acteur clone de Nicolas Duveauchelle au même jeu très nerveux-, qu'on devine être un colosse aux pieds d'argile, pétri de frayeur derrière sa carapace.

Eastern boys est un magnifique film qui vous prend par surprise, car les motivations des personnages ne sont pas toujours très nettes, le manichéisme n'est pas de mise, et le film épouse toutes sortes de genres (thriller, social, gay, etc...) . Robin Campillo, est un cinéaste majeur du paysage cinématographique français. A l'instar , au hasard, d'un Alain Guiraudie...
Bea_Dls
9
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le 2 avr. 2014

Critique lue 783 fois

6 j'aime

Bea Dls

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