La scène d’introduction, fascinant jeu du chat et de la souris Gare du Nord, nous embarque volontairement sur une fausse piste. Si le drame des filières d’immigration clandestines, constitue le cadre de l’intrigue et son point de départ, l’attention se porte rapidement ailleurs. Eastern Boys se concentre sur la relation ambigüe, troublante, voir dérangeante entre Daniel et le jeune Marek.
En découpant son film en chapitres comme autant d’étapes dans leur relation, le réalisateur renforce habilement l’acuité psychologique avec laquelle il raconte son histoire. Une histoire de rapport de force, la jeunesse et la séduction d’un côté, l’argent et le statut social de l’autre. La force du film réside en cet affrontement mouvant, qui penche d’un côté puis de l’autre en permanence. En toile de fond, le peur de la solitude bien sûr, elle sera ce qui déclenchera cette rencontre, c’est elle qui provoquera le piège dans lequel tombera d’abord Daniel et qui changera profondément la vie de Marek et sa vision des choses. Le désir charnel comme instinct primal, cèdera sa place au besoin d’être responsable de et pour quelqu’un chez Daniel et la peur de l’abandon chez Marek. C’est parce que chacun est au départ prisonnier d’une situation inconfortable, si ce n’est intenable, que leur histoire est crédible et qu’on croit au fait qu’ils s’y jettent tous deux totalement. Campillo dresse avec finesse et subtilité le portrait de ces deux hommes, dessine brillamment l’évolution de leur relation. Cela passe par des jeux de regards, des gestes qui se font plus francs, moins automatiques. La nature de leur relation est certes au départ d’une grande brutalité, mais il en émane paradoxalement une certaine douceur, qui doit sans doute beaucoup au jeu d’Olivier Rabourdin, dont la voix calme et la présence rassurante crée un climat d’étonnante sérénité.
Mais outre la parfaite description des liens qui se tissent entre Daniel et Marek, Eastern Boys se démarque surtout par des scènes uppercuts, d’une tension et d’une maîtrise folle, du ballet Gare du Nord en introduction, à l’hallucinante scène de « déménagement » qui lui succède. L’haletante et dérangeante dernière scène fera naître chez le spectateur des sentiments contradictoires. Finalement, cette légère impression de malaise et ce trouble demeure tout au long du film, ce qui, au-delà de l’exigence formelle et narrative, le place au-dessus du lot de beaucoup de productions hexagonales. Eastern Boys secoue et brusque autant qu’il séduit. Ce n’est pas la moindre de ses qualités.
Thibault_du_Verne
8

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Créée

le 29 nov. 2014

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