Elephant Man, une passerelle pour le cinéma de Lynch et de Browning.

J'ai vu ce film hier soir (ou plutôt aujourd'hui très tôt), après Maman j'ai encore raté l'avion, donc assez tard (ou plutôt assez tôt), histoire de voir un bon film... (je troll, ne prenez pas cette phrase trop au sérieux)

Elephant Man, film de David Lynch sorti en 1980, soit 3 ans après son premier film qui annonçait déjà le style particulier de ce cinéaste, Eraserhead. Si Elephant Man est toutefois assez éloigné du style de Lynch sur bien des points, il n'en reste pas moins l'un des films les plus marquants de la filmographie de son auteur.
Ce sera avec Eraserhead que Stuart Cornfeld aura envie de travailler avec David Lynch, et lui proposera un jour un projet du nom de "Elephant Man". Et toujours grâce à Eraserhead, c'est lorsque Mel Brooks, principal producteur du film, regardera Eraserhead que ses réticences à confier ce film à un inconnu du nom de "David Lynch" s'envoleront et disparaîtront à jamais. On peut considérer la boucle comme bouclé, en effet, c'est en visionnant Elephant Man que Dino De Laurentiis aura l'idée d'employer Lynch pour Dune.

Etant un grand admirateur du cinéma de Tod Browning, ça faisait longtemps que je voulais le voir, notamment parce qu'Elephant Man est clairement influencé par Freaks de Browning, à tel point que dire qu'Elephant Man est un hommage à Freaks et à Browning peut totalement être justifié.
La forme y est similaire en biens des points. Le côté "forain" du film, élément caractéristique de Freaks, y est représenté sous différentes formes. Le milieu où vivait John Merrick avant sa rencontre avec le Dr Treves, l'entraide entre les différents membre de la troupe plus loin dans le film est aussi un exemple flagrant. Dans un registre plus noire, la visite nocturne du gardien de nuit avec les différents "clients" de "l'attraction" montre aussi cet esprit. Le tout accompagné de musiques qui rappellent l'univers de la "fête foraine" et du cirque. La dégénérescence physique de John Merrick est un lien entre la forme du film, et son fond. Dans la forme, cela rappelle là-aussi l'univers de Freaks. Il faut d'ailleurs félicité le maquillage qui est somme-tout assez réussi, mais qui malheureusement camoufle le jeu d'acteur de John Hurt, on ne peut tout avoir non plus.
Mais c'est dans le fond que l'on remarque bien volonté qu'Elephant Man s'est grandement inspiré de Freaks, mais aussi de tout ce qui fait l'univers de Browning. Le cinéma de Browning gravite autour de thèmes universels et intemporels (en tout cas jusqu'à présent) sur la dualité entre "monstruosité" physique et "monstruosité" du comportement humain envers ce qui lui fait peur, donc ce qui lui est inconnu. Il aborde aussi la difficulté pour un homme "différent" physiquement de pouvoir être pleinement accepté par la société dans laquelle il vit. On peut aussi parler du fait que par ces différents thèmes, on peut lui accorder le fait que le cinéma de Browning parle grandement de la normalité. Et tous ces thèmes transparaissent clairement dans le film de Lynch. Une scène qui est devenu culte pour moi, et pour beaucoup de personne je pense, est un cas d'école d'une mise en image des thèmes sus-dit, la scène dans la gare où Merrick, alors entouré et pris au piège par des gens le pourchassant, déclare avec émotion "I am not an elephant ! I am not an animal ! I am a human being ! I ... am ... a ... man !".
Beaucoup de comparatif pourrait être fait entre les deux films, par exemple la rédemption. Dans Freaks le seule moyen que Browning à concédé au personnage principalement antagoniste pour se repentir, est de subir une dégradation physique spectaculaire. Dans Elephant Man, Lynch y est bien plus réaliste, anti-manichéen, et nuancé que browning. A l'inverse de ce qu'on pourrait appelé un "châtiment divin", Lynch propose un questionnement morale à ceux qui veulent profiter de Merrick. Si le Dr Treves choisira de faire de Merrick un ami, et non un sujet d'étude pour devenir bien plus connu dans le monde médical, d'autres comme le gardien de nuit ne se remettront jamais en question.
Le film s'inspire donc grandement de Freaks, mais il a ce petit quelque chose en plus, et ce petit quelque chose n'est autre que le style noir, onirique, et cauchemardesque de Lynch. L’entraide entre forains n'est présent que dans une scène d'Elephant Man. Le côté "exploitation de monstre" est nettement encrée dans le film. La fascination morbide est aussi bien plus prononcé que dans Freaks.

Sans trop m'éloigner d'Elephant Man, je voudrais un peu parler du style de Lycnh qui est à la fois évolutif et dans un sens régressif.
Évolutif, car il s'améliorera avec le temps du point de vue du scénario. Surtout du paramètre énigmatique et onirique des films de Lynch assez récent. Dans Elephant Man le côté onirique est bien plus discret que dans beaucoup d'autres films du même réalisateur, mais je suppose que le film visait un plus grand publique que ses autres films (grosso merdo).
Régressif, car Lynch commencera peu à peu à délaisser une composante de son cinéma au début de sa carrière. Un cinéma plus organique à la Cronenberg ou dans un autre style à la Brakhage. Bien que je n'ai pas vu Dune, plusieurs extraits me font dire que Dune a toujours cette composante (comme le dit si bien le Fossoyeur de film "ça suinte, ça dégouline", et certaines photos que j'ai pu voir montrent une peau qui semble atteint d'une dégénérescence physique, ou de quelque chose en commun). il s'agit là d'une hypothèse, car n'ayant pas vu la filmographie entière de Lynch, je pense que c'est après Dune que Lynch mettra de côté peu à peu la partie organique de son cinéma. Bien entendu, Elephant Man montre pleinement le côté organique du cinéma de Lynch a ses débuts.
Ce petit parallèle entre évolutif et régressif (très loin d'être complet, je vous l'accorde) est tout simplement là pour pointer du doigt Eraserhead. A la fois l'oméga et l'alpha, le premier et le dernier, à la fois le prototype et le nec plus ultra. Eraserhead est tout simplement le film le plus abouti de Lynch en tout point. Le côté énigmatique y est le plus abouti, il possède pleinement le style organique que Lynch à peu à peu délaissé, ou plutôt mis sous silence. Certaines plans possèdent une photo monstrueusement développé pour un film de ce budget. Une inventivité inégalé dans le reste de sa filmographie. L'onirisme cauchemardesque et la noirceur de Lynch y sont à leur paroxysme. Bref, il est intéressant de montrer à quel point Eraserhead impose le futur style de Lynch qui sera peu à peu "disséqué" et "remodelé" par ce dernier.

Après ce petit aparté sur Eraserhead et le cinéma de Lynch, il est grand temps de conclure cette critique sur le film de David Lynch, "Elephant Man" qui est sans doute l'un de ses plus grands films. Il jouit d'une mise en scène et d'une photographie mené d'une main de maître. Une ambiance sonore qui est minutieusement préparé, comme tous les films de Lynch. Le film est certainement plus grand publique et abordable de son auteur, et il vaut sans doute mieux commencer sa filmographie par celui-ci pour une initiation en douceur au style lynchien, puis de finir par Eraserhead en le considérant comme étant une sorte synthèse de tout ce que Lynch a pu faire.
skymen5
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le 27 déc. 2013

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