Le film d’horreur humaniste, le modèle du genre, le classique drame victorien en noir et blanc, et gris comme une peau d’éléphant. Le drame victorien d’après Lynch. C’est son deuxième film, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il aime la difficulté. Adapter la vie de John Merrick, peu ont osés imaginer le faire, lui, il a osé le faire. John Hurt qui disparaît complètement sous son maquillage, ça fallait oser aussi. Transformer le drame voyeuriste en étude sociologique, c’était attendu. Ce n’est pas un monstre que l’on voit, mais le portrait d’un homme à l’aspect repoussant, et les vrais monstres, se sont eux, nous, les autres, les êtres humains, les prédateurs, les voyeurs, les sadiques à la peau lisse, et à l’aspect « normal » derrière leurs costumes bien apprêtés. Lynch fait tout pour ne pas tomber dans le voyeurisme facile et pathologique, on lui en sait gré. Non, John Merrick n’était pas un super héros, c’était un individu comme les autres, victime d’une malédiction comme on dirait à l’époque, d’une malformation congénitale, on dirait aujourd’hui. Les vrais difformes, les déformés, les malades, c’est nous ! Il aurait été fou de croire que Lynch prenne le parti des hommes, il préfère de loin, les monstres, les « bêtes » curieuses, les marginaux, les éléphants...
Un homme-éléphant, un rien arriéré mental, bête de foire, animal de compagnie, puis jouet d’un médecin qui se sert de lui comme d’une excuse, pour s’acheter une bonne conscience. Le médecin incarné par Anthony Hopkins a tout du petit bourgeois qui fait acte de contrition chrétienne, en donnant un toit à cette malheureuse créature, à cette chose à la « beauté » très biscornue. David Lynch tient son sujet, et maîtrise de bout en bout. Par contre il est relativement classique dans la forme, et même le fond, ce qui risque de surprendre les fans du Lynch habituel. On sent son respect pour son personnage, il est même assez complaisant par moments, pour nous tirer quelques larmes de crocodiles. Certains moments sont carrément anecdotiques, et drôles en même temps, ce qui fait baisser la charge, diluer le scabreux dans la comédie dramatique. L’histoire est rigoureusement linéaire, crypto-chronologique, un biopic, on dirait aujourd’hui. Lynch reste un des mes cinéastes favoris, mais force est de constater qu’il a pris fait et cause pour l’homme-éléphant, ce qui se traduit par des moments très mélos attendrissants, ce qui est assez rare chez lui. Cela reste du bon Lynch de transition. Il prend un sujet impossible, et le réduit à une réalité nue et implacable, avec la magie en moins. Ici, biopic donc, et respect du personnage-monstre, qui devient monument historique dans sa petite boutique des horreurs. Pas de surprises, pas de virtuosité, plus de la réalité un peu romancé. Il n’a pas voulut faire un Barnum visuel, et on le comprend, vu le sujet, se serait mal placé.
Nous sommes tous des monstres ? Cachés sous notre masque pour dissimuler nos émotions. John Merrick n’a pas cette chance. Son apparence lui ôte tout espoir de reconnaissance par le miroir. C’est peut-être pour ça qu’il aime le théâtre, le seul endroit où il est égal aux autres, le seul endroit où on ne le regarde pas avec crainte ou répulsion. Ce n’est pas mon Lynch préféré, pas un chef-d’œuvre, mais un biopic ordinaire, sur un personnage extraordinaire.
Comme par un retour du refoulé inattendu, Anthony Hopkins devait incarner lui aussi un monstre dix ans, plus tard, un vrai monstre autrement plus dangereux et malsain que celui-là.
L’histoire de John Merrick, monstre entouré d’êtres tout aussi humains