En Pays Cannibale c'est un peu ce moment de désespoirs qui nous amène à nous interroger sur l'état du cinéma français. Sorti en indépendant, on ne peut que s'étonner de la qualité d'un tel film face aux faibles moyens qu'il a eu à sa disposition. C'est donc avec un regret non dissimulé qu'on se dit que ce très bon film ne sera pas vu par tous, mais, qu'au contraire, il faudra se battre pour pouvoir en profiter.
En Pays Cannibale se veut violent, non pas dans ses propos ou dans ses scènes (encore que), mais dans la façon dont il s'immisce dans la tête du spectateur. Découpage par chapitres, longs monologues, film en noir et blanc, bande-son d'une puissance insoupçonnée, tout est mis en place pour que le spectateur ne soit qu'un mannequin fixé sur sa chaise et se prenne la tarte du siècle face au film. On retrouve du Fincher et du Tarantino dans le procédé et dans cette façon d’œuvrer. Du Tarantino oui ... Beaucoup de Tarantino, dans ce refus total d'expliquer quoique ce soit, on ne va pas justifier la mort d'un personnage, on ne va pas dire ce qu'il s'est passé dans tel appart, quel est la vie de tel ou tel personnage, tout va vite, très vite, trop vite.

Car après tout, cette vitesse c'est comme l'ultime rail de coke de Max, dealer de son état, qui à déjà 30 ans, a bien du mal à se remettre de la mort (suicide ?) de son père alors qu'il n'en avait que 9.
Sans aucun doute, Max veut en finir, c'est claire, c'est très claire, il n'a plus foi en rien, même plus dans la possibilité d'une vie meilleure (chapitre de Marie), mais plutôt que mourir à petit feu, Max veut briller. Il va donc proposer à son ami Lenny, un réalisateur raté et Yoann, un étudiant en école d'ingénieur du son, de faire un film sur 48 heures avec lui. 48 heures qui nous amènent dans le Paris de la drogue et du sexe, de la déviance à outrance, où l'on tue pour un oui ou pour un non, ou le canon d'un flingue vient se coller à sa tempe uniquement parce qu'un homme nous oblige à lui sucer son pénis. 48 heures dans un Paris qui n'aurait rien à envier au dernier GTA ou à la célèbre BD de Miller, Sin City.

Pourtant, cette haine, cette violence, ce sexe, et surtout cette drogue à excès (encore plus de coke que dans Scarface, c'est dire !) ne servent qu'à mettre en évidence un message. Il y a tellement de tout qu'il faut oublier ce tout et voir derrière l'évidence d'un regard naïf. Ce film ne parle pas de drogue, de banlieue, de banditisme ou de violence, ce film parle de la solitude extrême des gens. Les gens ne s'écoutent pas, tout simplement. Et dans leurs paradis artificiels, ils pensent avoir accès au bonheur mais en réalité, la seule utilité de ces drogues c'est de ne pas se sentir non-écouté. C'est d'oublier, un instant du moins, la peine que ce monde leur inflige.
Max est spécial parce qu'il s'en rend compte quelque part, mais qu'il ne peut lutter contre, il n'est pas assez fort. Ce film qu'il veut donc tourner, qu'En Pays Cannibale nous raconte, c'est donc cette dernière vie vécue dans la vie, son dernier rôle, sa dernière bouffé d'un oxygène trop pollué ou de toute façon, tout est déjà joué depuis qu'il a 9 ans, depuis que son père est mort.

Cependant, le film ne tombe jamais dans le misérabilisme, loin de là même. Il est dans l'exagération, pour laisser voir subtilement ce message. Les personnages sont donc tellement exagéré qu'on les aime ou les déteste. De Lady Fanta, femme de petite vertu qui ferait fuir le plus hargneux des pervers à Gros Louis, espèce d'époux dans une relation à 3 avec des prostituées qu'il semble frapper, tous sont dans l'exagération.
Quand on sait qu'une partie des acteurs ne sont justement pas des acteurs, on ne peut qu'être surpris. On prendra du plaisir à retrouver David Saracino, adepte des petits rôles, dans le rôle de Lenny. Angelo, un des personnages les plus marquant du film est joué par Jo Prestia, une gueule comme on en fait rarement et on se régale de l'avoir vu dans ce rôle, un acteur qui gagne à être connu. Sinon, on peut noter le père de Lenny, joué par Yves Pignot, une scène brève d'une rare puissance. Beaucoup de seconds rôles sont tout simplement excellents d'ailleurs.
A tel point que les personnages principaux peuvent sembler transparent par moment, ou du moins, moins charismatique. Pourtant, Axel Philippon campe très bien Max et on l'apprécie rapidement. Le personnage de Yoann est moins captivant, moins séduisant, est ce dû à un Ivan Cori qui se retrouve avec un rôle assez basique, il faut le dire : le jeune paumé dans un univers encore inconnu pour lui et bien too much. Ce personnage de Yoann semble servir d'indicateur de "folie" à ce qui se passe autour et pourtant dans plus d'une scène je l'ai trouvé peu intéressant voir inutile.

Au niveau technique, c'est du grand niveau, une réalisation très bonne malgré quelques cadrages qui peuvent gêner pour quelques scènes. Heureusement, dans 95% du film, les cadrages restent, on ne va pas dire basique, mais plutôt évident, parfaitement réalisé, parfaitement mis en place et c'est ça qu'on attend d'un film. Que ça soit tellement bien fait que ça semble évident alors qu'il y a eu tout un travail en réalité dessus.
La bande-son est tout simplement jouissif et je pense qu'une grande partie de la qualité du film vient en réalité de là.
Enfin, le montage est ... fou ! On retrouve toute la fougue, tout le dynamisme des jeunes réalisateurs qui osent faire plus que les autres, et aussi cette vitesse dont Max n'a de cesse de voir.

Bref, En Pays Cannibale est certainement le meilleur film français que j'ai vu depuis des années, la preuve qu'il reste encore du talent chez nous, mais uniquement en indépendant.
mavhoc
8
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le 26 sept. 2013

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mavhoc

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